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La parole à… Samuel PINTEL


Samuel PINTEL est membre du conseil d’administration de la Maison d’Izieu et aujourd’hui, j’édite le très beau discours qu’il a prononcé, hier, à l’inauguration du collège Sabina ZLATIN. Un moment émouvant.

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« Bonjour à toutes et à tous et bonjour aux élèves du collège Sabina Zlatin.

Je suis  un enfant d’enfant survivant de la maison d’Izieu et j’ai travaillé avec Sabina Zlatin durant ses cinq dernières années très actives, notamment pour la description et l’archivage des documents qu’elle avait ramené de la colonie et tenais à vous en parler.

Elle nait à Varsovie, dernière d’une famille de douze enfants dont elle est la dernière non attendue. Arrivée au monde elle est déjà deux fois tante puisque ses sœurs sont mères de famille. Sa mère préfère son rôle de grand-mère. Ses frères et sœurs ne s’en occupent pas. Il n’y a guère que son père qui passe un peu de temps avec elle.

Sa vie se fait très tôt en dehors de la famille dans un pays où l’antisémitisme monte.

A 16 ans, elle adhère au Bund parti socialiste juif qui défend les ouvriers. C’est le premier acte de sa vie de citoyenne. Au cours d’une manifestation, elle sera emprisonnée un an. A sa sortie elle décidera de quitter ce pays et son voyage commence. Elle part seule, trouvant accueil auprès d’organisations juives. Dantzig est la première étape.

Près du port elle voit un bateau qui porte le nom de la ville de Konigsberg. Elle rêve qu’il l’emporte là-bas. Ce qui se fera, illégalement, protégée par le capitaine.

De la traversée, elle dira que cela fut une renaissance.


Suivent Berlin et Bruxelles où un cousin très surpris de sa visite ne l’aide pas.

Elle devient ouvrière dans une usine de boite de conserve mais la police intervenant lors d’une grève l’oblige à quitter la Belgique car elle est considérée comme migrante.

Un policier qui a du cœur lui indique le chemin où elle peut éviter les contrôles d’identité pour se rendre en France.

Elle arrive donc à Nancy pour faire des études d’histoire de l’art. Elle a besoin d’argent. Elle retrouve encore un travail dans une usine de boite de conserve. Pas assez rapide, elle sera renvoyée. Sa famille subviendra alors à ses besoins.

Durant ses études, elle rencontrera son mari, voisin de chambre étudiant en agronomie.

Ils s’installeront à Landas près de la frontière belge où ils élèveront des poules industrielles.

Le succès de leur entreprise leur permettra de devenir français. La vie agricole ne lui plaisant guère, Sabina prendra régulièrement des cours de peinture à Paris auprès de Marcel Gromaire et de Marie Vassilieff chez qui elle rencontrera Haïm Soutine, artistes très connus à l’époque.

La seconde guerre commence. Sabina Zlatin décide de devenir infirmière militaire de la Croix Rouge.

Mai 1940, diplôme en poche, le couple part à Montpellier se réinstaller loin du conflit qui grandit.

Son époux Miron s’occupe d’une ferme et elle de 20 lits dans un hôpital militaire.

Renvoyée rapidement parce que juive, elle travaillera aux camps d’Agde et de Rivesaltes dans lesquels des étrangers réfugiés étaient internés dans des conditions infamantes.

L’OSE œuvre de secours aux enfants lui permet de sortir régulièrement des enfants juifs qui trouvent refuge dans des maisons d’accueil. Mais les places manquent et il faut trouver d’autres solutions comme le placement dans des familles ou dans des institutions religieuses entre autre.

En mars 1943, le bureau de l’OSE de Montpellier ferme sans prévenir, elle se retrouve avec 4 adolescents chez elle et on lui rapporte que 17 enfants réfugiés dans une maison d’accueil sont abandonnés.

On lui force dès lors la main pour les chercher et ouvrir une maison. Ce sera le début d’Izieu à l’époque en zone d’occupation italienne plus tranquille pour les juifs.

Elle poursuit son travail d’infirmière et d’assistante sociale, les enfants trouvent un semblant de vie à la colonie qui est un lieu de transit.

Ils quittent les camps, arrivent à Izieu. Certains sont déposés devant la maison. D’autres sont envoyés par les services sociaux où ils ont été remis par leurs proches pour être protégés le temps que les familles trouvent une meilleure solution si elles le peuvent.

Des enfants repartent plus ou moins rapidement récupérés par des amis ou de la famille ou trouvent une issue grâce à des réseaux d’entraides. Mais malheureusement pas tous.

Le 6 avril 1944, la Gestapo de Lyon rafle la maison. Sabina Zlatin était à Montpellier.

Elle prend des risques énormes pour les sauver, sans succès.

Elle retournera quelques jours plus tard à la colonie qui a été pillée et repartira notamment avec les dessins et les lettres des enfants.

Elle s’engage alors dans la Résistance à Paris. A la fin de la guerre, le Général de Gaulle la nomme directrice du grand hôtel Le Lutetia pour l’accueil des déportés revenant des camps.

C’est là qu’elle aura la certitude que tous sont morts sauf une adulte.

La vie reprend après la guerre. Elle témoigne partout de ce qui s’est passé, une plaque est posée à Izieu, un monument à Bregnier Cordon rend hommage aux enfants.

Elle devient peintre puis libraire, chez elle à Paris.

Ce n’était pas une commerçante. Elle préférait qu’on lui rende visite et qu’on lui achète des livres.

D’ailleurs elle aimait beaucoup qu’on lui rende visite.

Elle devient aussi experte en livres anciens à Paris spécialisée dans le théâtre, le cirque, les marionnettes et la danse. Milieu qu’elle découvre en apprenant la peinture avant-guerre et en y travaillant un bref moment après.

Toute sa vie elle se rendra à Izieu.

Elle aura pendant quelques années une maison à Ceyzerieu puis ensuite séjournera l’été à Belley à l’hôtel Le Manicle.

En 1987, le procès Barbie fera connaître au monde entier la tragédie des enfants d’Izieu. A la suite sera créé le musée. Et jusqu’à sa mort elle n’aura de cesse de témoigner et d’aider l’équipe du Musée.

Quand j’ai commencé à travailler avec elle, sa vie quotidienne était remplie de piles de livres, de sacs de libraire en toile de jute prêts à partir aux quatre coins de la planète et des tas de  bibliothèques tordues par le poids des ouvrages.

Deux pièces était remplies de tableaux posés les uns contre les autres.

Son bureau était un bazar sans nom.

La sonnerie bruyante de son téléphone retentissait 30 fois par jour.

LCI première chaîne d’information 24/24 braillait dans l’appartement. Le voisinage se plaignait du bruit l’été quand les fenêtres étaient ouvertes.

Elle recevait souvent et aimait le saumon, les harengs pommes à l’huile et le jus de pamplemousse.

Son accent rocailleux polono-russe révélait qu’elle venait d’ailleurs.

Toujours occupée de politique et du devenir de la maison d’Izieu, allongée sur son lit face à la télévision, elle imaginait ce qu’elle pouvait faire pour que ça marche.

Sachant ce qu’elle voulait, elle n’hésita pas une seconde  à rencontrer François Mitterrand et à “user ses savates à l’Elysée” comme elle disait, pour que le Président de la République soutienne la création du musée.

En 1996, Bill Clinton Président des Etats Unis est à Lyon. Hop ! Elle lui envoie une lettre appelant son soutien et l’invitant à visiter la maison et lui offre un de ses tableaux.

Le film  “La liste de Schindler” sort au cinéma. Elle va le voir tout de suite et envoie le lendemain une lettre de félicitations à Steven Spielberg le réalisateur en appelant son soutien…et lui offre un tableau.

Pour l’inauguration du musée, elle enverra lettre et tableau, “enfin vous savez” comme elle disait tout le temps, à la cantatrice Barbara Hendrix afin qu’elle vienne chanter durant la cérémonie.

Et en 1989 lorsque François Mitterrand lui remet la légion d’honneur, elle lui a certainement envoyée une lettre pour qu’il l’aide…et un tableau.

La chambre de Mme Zlatin était un lieu où tout pouvait s’imaginer et son bureau le lieu de départ des courriers à tous ceux dont elle pensait que l’aide était nécessaire.

Son répertoire téléphonique de plusieurs centaines de pages était rempli.

Le téléphone était souvent occupé et longtemps, très longtemps.

Elle interrogeait à sa manière le monde qui finalement n’était pas si grand puisqu’elle n’arrêtait pas de lui envoyer des lettres et des coups de téléphone pour lui dire ce qui n’allait pas et ce qu’il fallait faire en convainquant ses interlocuteurs.

Beaucoup de générations sont passées auprès d’elle.

Pour toutes, elle a dit l’importance de l’engagement auprès des plus fragiles, et que chacun pouvait et devait faire quelque chose quand l’injustice apparaissait.

Il est curieux de voir ce que font les enfants mal aimés pour vivre. Dès l’adolescence puis toute sa vie, sa famille a été constituée de ses amis, qu’elle appelait sa famille spirituelle.

Son enfance affleurait dans ses dessins mettant en scène des clowns et des danseuses et dans sa façon de manger.

Elle ne se nourrissait que de ce qu’elle aimait. Point ! Et de la compote de poires.

Elle prit dès 17 ans sa part personnelle aux luttes pour l’émancipation qui fermentaient dans le monde : émancipation sociale, ouverture des ghettos, batailles pour la liberté et la justice.

Sa liberté qui naît lors de son adolescence puis de sa fuite de Varsovie l’a portée toute sa vie à l’image du voyage qu’elle fait seule à travers l’Europe mais restant toujours en lien avec les autres car c’est ensemble qu’on y arrive mieux nous faisait elle comprendre.

C’est entre autre ce qu’elle avait imaginé que soit la maison d’Izieu, un lieu ouvert pour qu’on y accueille tout le monde et que le drame des enfants ait une portée universelle.

Je sais sans interpréter la pensée de quelqu’un qui n’est plus, que c’est pour elle une immense fierté qu’un lieu d’éveil des consciences comme ce collège à Belley, région qui aura marqué sa vie si profondément, puisse porter son nom incarnant la nécessité d’apprendre, l’éveil des consciences, la lutte pour la justice et le respect, l’importance de l’émancipation pour savoir résister et l’enseignement de la liberté de l’esprit quand elle donne des ailes pour croire à un monde meilleur.

Je lui laisse la parole un instant, elle parle du monument de Brégnier Cordon (enregistrement d’une séquence située vers la fin du film de Max Ophuls “Hôtel Terminus” sur la rafle des enfants d’Izieu).

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Eh les enfants ! S’il vous plait, quand on vous demandera dorénavant :

- A quel collège vous êtes  ?

Essayez de ne pas répondre :

- On est à Zlatin !

Dites plutôt Sabina Zlatin ou Dame d’Izieu, DamdiZ éventuellement. Parce que sinon ça ne lui plaira pas du tout !

Merci de votre attention. »


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