facebook_icon twitter_512x512 mail

Catégories

Commentaires récents

Sites Amis

Mes coups de coeur

Presse lyonnaise

Archives

Syndication

Mon discours pour les 150 ans de Marie Curie


Hier à Paris, nous célébrions le 150ème anniversaire de la naissance de Marie Curie. Ci-dessous le discours que je prononçais l’après-midi à l’Institut Curie après une cérémonie au Panthéon le matin :

« Madame la Ministre de la Santé et des Solidarités,

Madame la Ministre de la recherche, de l’enseignement supérieur et de l’innovation,
Madame Langevin,
Monsieur Joliot,
Madame la Directrice du Centre de recherche, Chère Geneviève
Monsieur le Directeur de l’Ensemble hospitalier, Cher Pierre,
Mesdames et messieurs,
Chers collègues,

150 ans.
Le 7 novembre 1867 Marie Curie, arrive au monde à Varsovie. Elle connaît une vie littéralement extraordinaire et est à l’origine d’une histoire qui se poursuit aujourd’hui encore et qui marque définitivement l’histoire de l’humanité. Cette histoire est au cœur de ce que nous appelons « l’esprit Curie » et cet après-midi, ce sont nos valeurs quotidiennes que nous voulons rappeler et célébrer.

Je voudrais d’abord au nom du Conseil d’administration vous dire Mesdames les ministres notre fierté de votre présence et Marie Curie serait surement ravie de voir deux femmes ministres à des postes si important, ravie de voir la compétence être être le critère de choix sans référence à autre chose, ce qui est le plus bel hommage qu’on puisse rendre à celle qui a eu tant de mal parfois à faire reconnaitre uniquement sa compétence.

Merci à chacune pour vos mots bien choisis et qui ont insisté sur la scientifique et ce qu’elle apporté à la cancérologie française et mondiale.

Je voudrais bien sûr commencer par évoquer brièvement quatre grands moments de la vie de Marie Curie qui ont déjà été abordé par les deux ministres.


- Il y a d’abord la période de la rencontre avec Pierre Curie, le travail commun et le premier prix Nobel.
Cette distinction, initialement prévue uniquement pour Pierre, a finalement été décernée à Pierre et Marie. Pourquoi ? Comment ? C’est ce que nous a expliqué Hélène Langevin au mois de juin dernier dans ce même amphithéâtre : lorsque Pierre Curie a appris la nouvelle, il a écrit au comité Nobel pour leur indiquer que les mérites de ces travaux revenaient pour leur plus grande part à son épouse et qu’il était donc impensable pour lui qu’elle ne soit pas honorée au même titre que lui. On est bien ici au cœur de nos valeurs.
Cette période, finalement très courte et très dense marque le début de notre grande histoire.

- En 1911 Marie Curie obtient un deuxième prix Nobel pour la détermination du poids atomique du radium. Mais c’est aussi la période de l’avant-guerre et c’est la seconde période de la vie de Marie Curie marquée par de nombreuses épreuves.
L’Histoire célèbre aujourd’hui l’œuvre de Marie Curie, mais elle oublie un peu vite les attaques misogynes et xénophobes dont elle fut elle-même l’objet et les invitations haineuses à rentrer dans son pays d’origine.

- La première guerre mondiale constitue sans aucun doute un tournant dans la vie de Marie Curie et c’est le troisième chapitre sur lequel je veux insister.
Cette période est marquée par son investissement social et sa volonté sans faille de « se rendre utile » comme elle disait. On connait l’histoire des petites Curie, le rôle important joué par sa fille Irène.
Dès que le conflit éclate, Marie Curie met en suspens ses activités de recherche pour mettre ses compétences au service de l’effort de guerre, on l’a dit.
Elle forme soldats, médecins et infirmières à la réalisation des clichés radiologiques, à leur interprétation et à la maintenance des appareils qui arrivent au front à l’intérieur des célèbres « petites Curie » dont l’une est aujourd’hui dans le jardin que nous baptiserons tout à l’heure du nom de « Marie Curie ».

- La dernière grande période de la vie de Marie Curie, la 4e donc, va se dérouler à partir de 1919 à l’institut du radium qu’elle dirige.
L’institut se développe auprès de Claudius Regaud. C’est aussi la période pendant laquelle Marie Curie se rend par deux fois aux Etats-Unis en 1921 et 1929 et où elle reçoit deux fois un gramme de radium financés grâce à de nombreuses donatrices.


Pendant près de vingt ans, entre les deux guerres mondiales, Marie Curie dirige un laboratoire de recherche dont l’excellence est internationalement reconnue, comme les deux ministres l’ont rappelé. Plusieurs découvertes majeures sont faites dans ce laboratoire. Je voudrais en citer deux.
En janvier 1934 d’abord, Irène et Frédéric Joliot-Curie - vos parents, chère madame Langevin, cher monsieur Joliot - découvrent ici la radioactivité artificielle. Ils reçoivent, eux aussi, le prix Nobel en 1935 pour cette découverte. Marie Curie ne saura pourtant jamais qu’Irène et Frédéric ont été récompensés par ce prestigieux prix puisqu’elle meurt en juillet 1934 mais cette découverte n’en reste pas moins la dernière grande joie de sa vie. Frédéric Joliot se souvient :

« Marie Curie a été le témoin de nos recherches et je n’oublierai jamais l’expression de joie intense qui s’est emparée d’elle lorsque Irène et moi lui avons montré dans un petit tube en verre le premier radioélément artificiel. »

La seconde découverte majeure qui pourrait illustrer l’excellence scientifique du laboratoire de Marie Curie, c’est celle de Margueritte Perey qui découvre ici, en 1939, un nouvel élément chimique. Cet élément sera astucieusement baptisé le « francium » en référence, bien sûr, au « polonium » de Marie Curie. Margueritte Perez est la première femme à être entrée à l’Académie des sciences au début des années 1960. Elle réussit là où Marie Curie avait échoué en 1910 parce que c’était une femme… c’est finalement une belle revanche pour le laboratoire de Marie Curie.
Dès ses origines, le laboratoire de Marie Curie se caractérise par sa dimension internationale qui lui tient beaucoup à cœur. « Après tout, la science est essentiellement internationale » disait-elle et le melting-pot des nationalités existe dès les origines dans son laboratoire. Aujourd’hui encore, nous sommes fiers de revendiquer près de 80 nationalités au sein de notre Centre de recherche.
Nous sommes fiers aussi de participer, avec le Collège de France et d’autres, au programme PAUSE, un programme qui soutient financièrement les établissements de recherche et d’enseignement supérieur souhaitant accueillir un scientifique étranger en situation de danger. Plus qu’une mesure d’urgence, le programme prévoit une intégration des chercheurs dans les équipes de recherche françaises, permettant la poursuite de leurs travaux. Nous sommes une fois de plus au cœur de l’esprit Curie, merci à Edith Heard pour son investissement dans ce projet.

Mais la plus grande force du laboratoire de Marie Curie réside ailleurs… elle se situe de l’autre côté du jardin, comme Agnès Buzyn vous l’a dit.
Dans le bâtiment d’en face, Claudius Regaud, biologiste et médecin, l’un des premiers radiothérapeutes français met en pratique sa conception d’une médecine scientifique, basée sur l’expérimentation. Tandis que Marie Curie se consacre à l’étude des propriétés physicochimiques des radioéléments, lui se penche sur leurs effets biologiques.
Notre histoire institutionnelle retient leur complémentarité et la mise en commun des découvertes.
En 1913, le Dr. Regaud cofonde et codirige avec Marie Curie l’Institut du radium.
L’articulation entre recherche fondamentale et recherche appliquée, s’illustre avec la radiothérapie que pratique Regaud et le dispensaire qui se met en place dans les années 1920. Il faut souligner ici le rôle de l’Institut Pasteur, le soutien de son directeur à Marie Curie et son apport financier.
Il faut aussi rappeler l’appui de l’université et de la ville de Paris ainsi que des familles Rothschild et Worms. Ce sont nos fondateurs.

Le rôle du lyonnais Claudius Regaud auprès de Marie Curie a été capital et je remercie Agnès Buzyn de l’avoir rappelé. Claudius Regaud et Marie Curie ont travaillé main dans la main, forgeant ce lien entre recherche et soins. On doit à Claudius Regaud le modèle des Centres de Lutte contre le cancer, un modèle auquel nous sommes particulièrement attachés et l’ensemble du réseau national des Centres Unicancer est l’héritage de ce grand médecin. En effet, après la guerre, le Général De Gaulle créé les centres de lutte contre le cancer, sur le modèle de la jeune Fondation Curie, qui allient comme elle dans un espace dédié au cancer, recherche, soins et enseignement.
Cette idée née de Regaud servit aussi en 1958 au général De Gaulle pour créer par ordonnance, sur les conseils du professeur Robert Debré les Centres Hospitalo-Universitaires, reliant soins, enseignement et recherche.
La fondation Curie est donc le premier centre de lutte contre le cancer. Son modèle a inspiré l’organisation de l’ensemble des Centres de Lutte Contre le Cancer en France et notre défi est de faire évoluer le modèle en gardant le socle de valeurs sur lequel il est construit.
Pour autant, l’Institut Curie reste aujourd’hui encore seul en France et peut-être en Europe à porter cet héritage et ce modèle parfaitement équilibré entre recherche fondamentale avec 1200 chercheurs et activité de soins avec 2500 collaborateurs sur 3 sites.

« … la Fondation Curie ambitionne de réaliser [...], plus étroitement que cela n’avait été fait auparavant, la coopération - je dirais volontiers : la fusion, - de la recherche scientifique avec la médecine pratique. »

Cette phrase du Dr Claudius Regaud est ancrée dans chacun des esprits des collaborateurs de l’Institut Curie, elle guide notre projet d’établissement. Cela doit être pour nous un credo.

Aujourd’hui notre projet d’établissement s’intitule MC21 pour « Marie Curie au 21ème siècle et comporte un plan d’investissement de 153 millions d’euros sur une période de 5 ans, pour reconstruire et rénover sur chacun de nos 3 sites à Saint-Cloud, Paris et Orsay.

Le premier, c’est le projet scientifique centré sur l’interdisciplinarité, moteur des découvertes scientifiques.

Le second c’est le projet médical, axé sur le parcours patient et l’innovation.

Le programme médico-scientifique, le troisième pilier, se décline autour de 10 priorités thématiques. Il est véritablement le cœur de notre ambition et le lieu où la cohabitation entre chercheurs et médecins se réalise au bénéfice des patients.
Je ne reviendrai pas sur les 12 autres chapitres du projet MC21 mais pour chacun de ces chapitres, le leimotiv est le même : respecter la spécificité de chacune de nos entités partout mais, dès que c’est possible, ou si vous vous préférez, quand c’est possible, faisons-le ensemble.
Ensemble, je suis sûr que ce mot plairait à Pierre et Marie Curie !

La réunion de cet après-midi, malgré la présence de 2 ministres de la République et de nombreuses personnalités que nous sommes fiers d’avoir accueilli, est d’abord une manifestation interne.

C’est l’occasion pour moi, au nom des membres du Conseil d’administration et du Bureau mais aussi du Comité Exécutif, de remercier chacun et chacune d’entre vous pour le travail quotidien en recherche, en soin et dans l’enseignement. Chacun d’entre vous et nous en sommes bien conscients. Nous sommes reconnaissant deporter chaque jour une partie de cette longue histoire et notre implication dans le présent et surtout dans l’avenir est d’autant plus importante. Merci à nos chercheurs, à nos médecins, à nos infirmiers et infirmières, à nos aides-soignants et ASH, à nos administratifs, à nos assistants et assistantes, à nos managers, techniciens, à chacune et chacun d’entre vous.

L’autre idée majeure de ce projet MC21, notre projet pour le 21ème siècle, et qui nous vient là aussi de Marie Curie tient en un mot : « ouverture ». Nous avons la volonté forte d’ouvrir l’institut Curie sur son environnement, de multiplier les partenariats sur chacun de nos 3 sites, dans une logique territoriale. Partenariats universitaires, partenariats industriels, partenariats hospitaliers - je salue les doyens ici présents, nos partenaires et le président de l’université PSL… l’objectif est toujours le même, nous voulons partager les compétences et mutualiser les « savoir-faire » car nous avons cette conviction forte que nous avancerons plus vite et plus loin en équipe, que seuls dans notre coin.
Il faut ajouter que ce projet s’inscrit également pleinement dans les priorités du Plan Cancer. L’Institut Curie a toujours contribué à construire les politiques de santé liées au cancer, les stratégies de recherche et à soutenir les malades dans les murs de l’hôpital comme en dehors. Cet engagement « hors les murs » est encore une marque forte de l’héritage de notre fondatrice.

Vous le voyez mesdames et messieurs, ce que nous devons à Marie Curie est immense et va en réalité bien au-delà du projet que nous construisons pour l’avenir.

Un autre point fondamental sur lequel je voudrais insister concerne la générosité du public.
A côté de l’institut du radium que dirige Marie Curie, la fondation Curie a été créée en 1920 et reconnue d’utilité publique en 1921. Initialement nommée « Pierre-Curie », cette Fondation porte l’idée selon laquelle la générosité du public est indispensable pour accélérer les découvertes scientifiques.
Précurseur en matière de collecte de fonds, Marie Curie acquiert très tôt la conscience du fait que le financement des activités de soins et de recherche, déjà très coûteuses à l’époque peut, au bénéfice des patients, s’appuyer sur la générosité publique. La générosité publique devient une composante « quasi génétique » de l’Institut Curie. Aujourd’hui, c’est grâce à nos donateurs que la fondation investit dans l’innovation au profit de la lutte contre le cancer.

L’histoire de l’Institut du Radium s’est poursuivie après la mort de Marie Curie mais elle reste, jusqu’à nos jours, omniprésente dans ce que nous sommes.
Marie Curie meurt en 1934 et, vous le savez, il faut attendre 1995 pour qu’elle entre avec son mari au Panthéon sur proposition de François Mitterrand.
Ce que nous devons à Marie Curie, c’est un esprit pionnier, une volonté guidée par l’amour de la science, ce que nous devons à Marie Curie, ce sont des valeurs, c’est aussi, et il faut le dire, le rôle fondamental qu’elle a joué pour la reconnaissance des femmes en sciences mais aussi dans la vie de notre pays plus largement. Marie Curie a fait beaucoup pour la cause des femmes.
Ces valeurs fondamentales animent l’ensemble des collaborateurs de l’Institut Curie, et sont la cause première de la qualité exceptionnelle des soins et des recherches qui sont menées ici.
Depuis Marie Curie, tout a changé à l’Institut Curie. Les hommes et les équipements, l’environnement et les patients mais l’esprit de Curie’osité comme aime à le dire Geneviève Almouzni.
Depuis Marie Curie, tout a changé, sauf l’essentiel. Tout a changé, sauf ces valeurs fondatrices, l’enthousiasme, l’obstination dans l’effort, la rigueur, le désintéressement, l’intégrité scientifique et l’éthique de l’action.

Lors de mon élection comme Président il y a 4 ans déjà, je disais en m’adressant à Monsieur Joliot : « Devant cette responsabilité qui m’incombe désormais d’incarner l’Institut Curie, je pense à Pierre Curie et à son éducation protestante qui est aussi la mienne, à Marie Curie, à cette « femme honorable » comme l’a dit Françoise Giroud, à son action pendant la guerre de 1914 et surtout à ce qu’elle représente dans l’histoire de notre république. Je pense à Irène et Frédéric Joliot, à Eve Curie, au rôle de Frédéric Joliot Curie dans l’histoire de la science et du CEA et je suis fier de porter ses valeurs d’honnêteté, de rigueur et d’exemplarité. »
Ces valeurs, chers amis, quelle fierté pour chacun d’entre nous.
Je fais le vœu qu’elles nous animent quotidiennement.
Le combat continue. La science a une grande beauté et le contact avec chaque malade, c’est l’esprit Curie.

Je vous remercie »

curie

Poster un commentaire