Hagay Sobol est Professeur de Médecine. Il est également spécialiste du Proche et Moyen-Orient et des questions de terrorisme. Je diffuse ci-après sa tribune éditée le 15 mars dernier et intitulée : “Ce que les démocraties devraient apprendre de la crise politique en Israël”.
“Le Premier ministre (PM) Benjamin Netanyahou, récemment élu, mène au pas de charge une réforme judiciaire controversée qui divise la société israélienne. Il fait face désormais à une opposition grandissante et semble débordé par ses alliés de la droite radicale.
L’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021, par des soutiens de l’ancien Président US, Donald Trump, avait provoqué la stupeur du monde libre qui assistait incrédule à l’invasion du plus haut symbole de la démocratie américaine par des émeutiers. Ce qui se passe en Israël, seule démocratie du Moyen-Orient, n’est pas moins inquiétant. Pour ses détracteurs, la réforme judiciaire verrait la disparition de l’indépendance de la Justice qui serait soumise au seul pouvoir politique. Malgré les appels à la concertation venant de toutes parts, d’Israël et de l’étranger, pour l’heure, le chef du gouvernement, Benjamin Netanyahou, ne semble pas mettre un frein à son projet.
Le contexte de la réforme judiciaire israélienne
Pour les tenants de la refonte judiciaire, le dernier mot, en toutes choses, devrait revenir au gouvernement car il est « l’émanation de la volonté du peuple ». En ligne de mire, la plus haute institution du pays qui, en l’absence de Chambre Haute et de Conseil Constitutionnel, représente le seul contrepouvoir au politique avec une double fonction de Haute Cour de Justice et de Cour Suprême. C’est à la fois la représentativité des juges, leur mode de désignation et l’étendue de leurs prérogatives qui sont remises en cause. Comme il n’existe pas à proprement parler de Constitution, contrairement à la France par exemple, mais une Loi Fondamentale, toute réforme, même si elle est justifiée, porte en germe une menace potentielle d’atteinte à la séparation des pouvoirs. Ce qui devrait inciter à la prudence et à la concertation.
Ce qui interpelle, même les plus modérés, c’est le timing de cette réforme et d’autres projets de lois tout aussi contestés comme la limitation des cas de destitution d’un PM. En effet, Netanyahou est sous le coup de trois mises en examens. Et le plus puissant allié de sa coalition, le chef du parti religieux sépharade Shass, Aryé Déri, condamné par deux fois par la justice, ambitionne d’occuper, contre l’avis des juges, un poste ministériel de premier plan. Il avait pourtant signé un accord de retrait de la vie politique en échange d’une réduction de peine. Cette réforme mettrait sous leur coupe les juges qui seraient amenés à statuer sur leur sort. Les opposants pointent un conflit d’intérêt évident.
Le paradoxe israélien : entre instabilité politique et croissance économique
Les quatre dernières années ont vu alterner à un rythme soutenu élections et gouvernements. Malgré cela, l’économie s’est développée et la « Start-up Nation » a réalisé des avancées géopolitiques considérables, comme rarement auparavant, tels les accords d’Abraham. Cette instabilité est la conséquence directe de la proportionnelle intégrale qui impose la constitution de coalitions artificielles et fragiles entre des partis parfois très distants sur l’échiquier politique. Souvent, le plus petit joue le rôle de faiseur de roi et pose ainsi des exigences démesurées par rapport à son poids réel.
Si l’on peut mesurer l’exploit politique d’une longévité rare aux commandes du pouvoir (6e gouvernement Netanyahou), « Bibi », comme l’appelle ses partisans, n’a pu l’emporter cette fois-ci que pour deux raisons. Par des alliances contre nature nouées entre son parti, le Likoud (équivalent israélien du LR français), et trois petites formations radicales. Ainsi qu’une légère élévation du seuil d’éligibilité qui a forcé ces partis d’extrême droite à fusionner afin de passer la barre du scrutin, pour se séparer peu de temps après. Aussi, l’inoxydable PM a dû multiplier les concessions et promettre des postes ministériels à ses nouveaux alliés au détriment de ses compagnons de route. Au final, cela a donné une courte majorité de 64 députés sur les 120 que compte la Knesset (le parlement israélien) pour moins de 50 000 voix d’avance pour la coalition la plus à droite de l’histoire d’Israël.
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