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Mon discours en mémoire des enfants d’Izieu


izieu2018

Je publie aujourd’hui, le discours, que j’ai prononcé vendredi 6 avril en tant que Président de la Maison des enfants d’Izieu. Un moment toujours aussi émouvant.

“Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

Nous sommes là, ce matin, en ce jour du 6 avril parce qu’il y a 74 ans des hommes armés sont venus de loin depuis Lyon, dans ce village perdu au flanc des montagnes. Les enfants de la Colonie déjeunaient bruyamment en ce jour de vacances et ils n’ont pas entendu l’arrivée des camions allemands. Seul, Léon Reifmann a pu s’échapper. Deux mois exactement avant le débarquement en Normandie, 44 enfants et 7 de leurs accompagnateurs sont arrêtés avec brutalité. Ils partent en chantant « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine » et arrivent au réfectoire de la Prison de Montluc avant de partir pour Drancy et pour les chambres à gaz, certains dans le même convoi que la jeune Simone Veil.

Le seul crime reproché à ces enfants, pour certains d’entre-eux orphelins et de leurs éducateurs, étaient d’être juifs.

Izieu est donc un symbole, le symbole de la barbarie mais aussi le symbole de la justice et de la mémoire.

Dans le cadre des commémorations du 30ème anniversaire du procès de Klaus Barbie, une journée spéciale de rencontres et d’échanges a été organisée au Mémorial le dimanche 14 mai 2017.

Nous avons, à cette occasion, pu écouter trois grands juristes qui nous parlaient de Nuremberg qui a établi le crime contre l’humanité puis, avec Eichmann et Barbie. Nous avons parlé de la mémoire retrouvée, de la recherche et du jugement des criminels nazis et bien sûr des enfants d’Izieu au cœur du procès de Klaus Barbie, avec les témoignages de Beate et Serge Klarsfeld, Alain Jakubovicz, Henry Alexander, du Professeur Jacques Védrine et de Samuel Pintel.

Izieu, c’est le Crime, la Mémoire mais c’est donc aussi la Justice.

Notre objectif, puisque justice est faite, c’est aujourd’hui la Mémoire dans le Présent.

Si la Shoah constitue un phénomène unique dans l’histoire de l’humanité, le présent du racisme, de l’antisémitisme, du rejet de l’autre et de la haine ne sont l’apanage d’aucune époque, d’aucune culture, d’aucun peuple. Il menace à des degrés divers, sous des formes variées, au quotidien, partout, toujours, aujourd’hui et maintenant des évènements récents nous l’ont rappelé.

L’enseignement de la Shoah n’est pas un vaccin contre l’antisémitisme ni les dérives totalitaires mais il peut aider à forger la conscience de chacun et de chacune. Il doit faire réfléchir sur ce que furent les mécanismes et les conséquences de cette histoire dramatique.

Nous sommes conscients du climat d’antisémitisme qui existe dans certains milieux et notre credo, ici à Izieu, c’est que le plus grand hommage que l’on puisse rendre aux victimes des crimes passés c’est d’être actif dans le présent. L’antisémitisme des banlieues est en essor. C’est pour cela que nous travaillons avec les collèges et les lycées de banlieue et aussi là où l’extrême droite est forte. L’antisémitisme, comme toutes les formes de racisme, constitue un tout et nous le combattons totalement là où il existe, sans sous-estimer les difficultés mais sans peur non plus d’aborder les problèmes là où il faut le faire avec l’aide récente des MJC et des centres sociaux. Le meurtre récent d’une rescapée du Vel d’Hiv à 85 ans est venu nous rappeler, après Sarah Halimi, que nous ne sommes pas débarrassés de l’antisémitisme qui est aujourd’hui une question majeure pour notre société et pour notre pays.

Nous sommes persuadés, ici à Izieu, que c’est d’un sursaut éducatif dont nous avons besoin. Nous pensons très fortement que l’instruction ne va pas de soi, qu’il faut y travailler dans de véritables alliances éducatives avec les parents, les professeurs, les éducateurs, les politiques, les associations et c’est ce que nous faisons avec beaucoup d’espoir de faire avancer dans le présent la signification de cette mémoire comme un outil pour transformer le réel.

Ce qui s’est passé à Parkland aux Etats Unis et la réaction de très jeunes adolescents montre qu’il ne faut pas se décourager et qu’il faut croire au potentiel des jeunes pour faire bouger des montagnes. Il y a des montagnes qu’il faut absolument arriver à bouger et nous nous y employons mais il y a aussi des personnes déterminées à faire bouger ces montagnes, avec qui nous nous associons.

Une de nos nouveautés de notre feuille de route pour les 5 ans qui viennent est notre volonté de nous rapprocher de tous ceux qui participent à la citoyenneté et au vivre-ensemble. Parmi eux, il y a l’Ecole Nationale Supérieure de la Police à St Cyr au Mont d’Or et nous allons signer une convention dans les semaines à venir en présence du Ministre d’Etat Ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb.

Le nom d’Arnaud BELTRAME doit être prononcé ce matin car chacun des lycéens et des collégiens présents doit se souvenir que partout où il y a des bourreaux, il y a des Justes et doit se souvenir que Police et Gendarmerie sont des éléments clés du Vivre-ensemble que l’on doit respecter et bien sûr pour Arnaud BELTRAME admirer profondément et en faire un modèle non pas pour donner sa vie mais pour faire de sa vie une œuvre, quelque chose qui en vaut la peine. Pour construire sa vie, il faut des modèles et je vous le dis solennellement, voilà le modèle qu’il faut utiliser pour bâtir les fondations de votre vie.

Ces fondations, elles se construisent grâce aux enseignants et notre premier partenaire, Chère Madame la Rectrice, que je suis heureux d’accueillir ce matin c’est bien sûr l’Education Nationale.

Je salue les référents académiques. Mémoire et Citoyenneté qui nous aident à faire ce lien indispensable famille/école/association.

Je salue le collège Sabine Zlatin et le lycée de Belley qui animent notre cérémonie aujourd’hui.

Merci à chacun de vous car les survivants disparaissent progressivement et la mémoire du présent, c’est vous. Rappelez-vous que ces enfants venaient de toute l’Europe de la Diaspora Juive ; rappelez-vous aussi de ceux qui venaient d’Afrique du Nord et qui ont partagé tellement de choses avec d’autres religions dans la paix et le vivre-ensemble ; rappelez-vous Collégiens et Lycéens que cette mémoire peut être niée alors qu’elle fait intégralement partie de nous.

La plaque sur laquelle le nom des 44 enfants était inscrit à Lyon a été vandalisée cette année, alors que celle d’Anne Frank l’avait été l’année précédente. Cela veut dire que Oui la mémoire peut être non seulement niée mais encore saccagée.

Le révisionnisme d’Etat en Pologne nous concerne donc aussi en cette année 2018 et concerne notre réflexion sur l’enseignement de la Shoah des enfants. Il pose la question de la négation de la Mémoire. Notre présidente d’honneur a été la première à s’émouvoir sur un sujet qui a déjà fait couler beaucoup d’encre.

Je lui emprunte une partie de mon message ce matin car nous sommes dans l’actualité du présent et qu’il faut, je crois, regarder tous  avec attention ce qui se passe en Pologne ne serait-ce que pour partager la douleur, la déception et l’amertume de tous ceux qui, en Pologne, ont œuvré pour reconstruire et pour s’opposer à l’antisémitisme.

Faut-il refuser de nommer les lieux d’extermination comme “camps polonais de la mort”?

Oui, ce refus est justifié. Les camps furent édifiés ou transformés par les envahisseurs nazis.

Oui, une large part des Polonais ont été victimes de la répression: politiques, résistants, ouvriers, enfermés dans les camps ou déportés en Allemagne. 6 millions de Polonais dont 3 millions de juifs sont morts entre 1940 et 1945.

Oui des Polonais ont fait preuve de compassion et sauvé des Juifs. Le nombre de Justes y est plus important que nulle part ailleurs mais n’oublions pas que le nombre des Juifs polonais l’était aussi. La majorité du million et demi de Juifs exterminés à Auschwitz  était polonais et Oui le gouvernement polonais en exil a parlé depuis Londres haut et fort en faveur des juifs et la résistance polonaise a été héroïque avec un courage qu’il faut reconnaître.

Il n’empêche: exactions, délations, participations à l’extermination ont aussi été le fait de Polonais, marqués par un antisémitisme religieux. Ceci contre une population juive installée depuis bien longtemps, eux-mêmes Polonais au sens plein malgré les épisodes récurrents de pogroms et de dépossessions. Attachés à une terre où ils avaient trouvé refuge.

Non, les Polonais ne constituent pas en totalité un peuple de victimes ou de héros comme l’édicte l’entreprise en cours marquée de sanctions pénales. Une peine de trois ans de prison pour qui porte atteinte au renom du pays en rappelant la responsabilité polonaise, telle est la loi qui vient d’être signée, soulevant dans le monde une réprobation qui surprend les décisionnaires.

Je m’adresse à nouveau aux collégiens et lycéens pour dire qu’une commission mixte entre Israël et la Pologne dans le but d’amender la loi vient d’être créée. Certes, cette commission aurait dû être mise sur pied avant la loi mais c’est une nouvelle preuve que c’est dans le dialogue que l’on peut sortir d’une crise et aller vers la réconciliation.

Il faut reprendre l’avancée de la dynamique européenne qui est le contrepoint à une telle dénaturation. La matérialité des lieux témoins joue également un rôle essentiel. Ils doivent être maintenus et sacralisés.

En Pologne, il faut souligner l’action du Directeur du camp d’Auschwitz qui réussit à lever des fonds dans le monde entier pour que ne disparaissent jamais les quelques baraquements de bois où des millions furent réduits à ce que nous ne pouvons pas même imaginer.

Notre ami Piotr Cywinski, membre de notre conseil d’administration est aujourd’hui nommément attaqué. C’est un scandale qu’il faut dénoncer et que je dénonce haut et fort au nom de notre association et de son conseil d’administration.

Simone Veil qui nous a quittés et qui va entrer au Panthéon le disait ici même « Cette Europe que, moi survivante de la Shoah, j’ai voulu construire et pour laquelle j’ai œuvré avec conviction toute ma vie, j’ai toujours pensé qu’il fallait la construire dans la réconciliation qui s’appuie sur le passé sans chercher à le nier. Je suis convaincue que seule la confrontation avec le passé permet de l’assumer pleinement ».

Ce message que le gouvernement polonais doit entendre et que partagent beaucoup de polonais, c’est le message de l’Europe de Simone Veil, de celle que nous faisons vivre ici à Izieu dans la réconciliation franco-allemande, c’est celle que les 44 enfants d’Izieu et leurs 7 éducateurs qui venaient de toute l’Europe nous demande de promouvoir dans le présent. C’est un message d’actualité.

Le crime appelle la justice. Les désaccords appellent la concertation et le dialogue.

L’Histoire avec un grand H des enfants d’Izieu est une fondation pour comprendre, pour témoigner, pour éduquer et pour faire de chacune de vos vies chers Lycéens et collégiens quelque chose dont vous puissiez être fiers tout simplement sans rien oublier du passé mais en s’en servant pour construire l’avenir.

Je vous remercie.”

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