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La parole à… Sylvie Guillaume


Je partage aujourd’hui la lettre européenne de Sylvie GUILLAUME, députée européenne et Vice-présidente du Parlement européen, qui livre une analyse très éclairante sur le Brexit et ses enjeux.

Vous pouvez également consulter cette lettre au format pdf en cliquant ICI.

Le Brexit et l’Europe d’après ?

Depuis plus d’un an maintenant, le Brexit est au cœur de l’actualité européenne. Au-delà de la rupture symbolique entre l’un des membres historiques et le reste des Etats de l’Union, cette longue procédure de divorce montre que nous sommes entrés dans une période charnière de l’histoire de la construction européenne. Face à une crise de confiance sans précédent au sein de l’opinion publique et à des défis contemporains majeurs, notre responsabilité est d’œuvrer à la refondation politique d’une Union européenne viable.

Mais de cet événement, il faut d’abord que nous tirions les enseignements. Quelles sont les raisons de cette rupture ? Par quelles voies passe la réaffirmation politique de l’Europe ? Quels sont les tenants et aboutissants des négociations du Brexit ? Quel doit être le sens de la refondation européenne ? C’est de tout cela dont je vais parler dans cette lettre. Une lettre qui je le précise ne s’inscrira pas nécessairement dans l’actualité la plus brûlante des pourparlers, car ils sont très évolutifs.

Avant le Brexit

Le 29 mars 2017, Theresa May, Première Ministre du Royaume-Uni, a remis à Donald Tusk, Président du Conseil européen, la lettre signifiant l’activation de l’article 50, enclenchant le Brexit. Je continue de penser qu’à l’origine, il y a un coup de politique intérieure discutable voire irresponsable. En 2009, David Cameron, alors chef de l’opposition conservatrice s’engage en faveur d’un référendum préalable à de futurs transferts de pouvoirs à l’UE. Nécessairement, cet engagement trouve un écho dans l’opinion publique et la campagne eurosceptique le dépasse. Ouvertement hostile à l’idée d’un référendum lors de son premier mandat, D. Cameron se retrouve finalement contraint de s’en emparer et devant la menace de UKIP*, il en fait un argument phare pour sa réélection en 2015. Le premier ministre enclenche alors un processus d’organisation du référendum. La campagne s’engage avec des arguments mensongers, des outrances et s’achève avec les résultats qu’on connait.

Il est impossible cependant d’analyser ces évènements sans un regard historique : il est clair que l’intégration du Royaume-Uni au projet européen a perpétuellement posé des questions politiques. Du manifeste des Travaillistes de 1983, prônant une sortie de la Communauté économique européenne, jusqu’à la célèbre invective de Thatcher au sujet de la contribution britannique au budget de l’UE (« I want my money back »), en passant par les multiples opt out*, le discours eurosceptique a toujours trouvé une résonnance particulière de l’autre côté de la Manche.

Au-delà des enjeux, il faut aussi souligner un contexte favorable au Brexit. En Europe, des poussées de contestation s’expriment contre l’Union européenne perçue par les citoyens comme un organe bureaucratique, opaque et peu démocratique, enclin à promouvoir des politiques d’austérité. S’il ne s’agit pas d’une situation inédite dans l’histoire de la construction de l’Union, elle se distingue par son ampleur et sa résonance politique. Aux élections européennes de 2014 déjà, le scepticisme et la phobie de l’Europe entraient au Parlement avec pas moins de 140 parlementaires sur 751. Ces dernières années les mouvements populistes, nationalistes et souvent xénophobes se sont incrustés dans le paysage politique européen.

Un sursaut européen ?

Annoncé comme un séisme sans précédent, présage de la chute de Bruxelles et d’un effet domino inévitable : le Brexit, a finalement des effets contrastés.

Et en parallèle, la bonne nouvelle c’est qu’au cours des négociations l’UE parvient à faire preuve de cohésion et de fermeté. Le Parlement européen relève d’ailleurs largement le gant ; une affirmation politique bienvenue face aux reproches récurrents d’une gouvernance européenne confuse et désincarnée. Ainsi, la définition de lignes rouges et de priorités communes s’est faite aisément au sein de la Commission comme au Parlement européen, où la dernière résolution a été très majoritairement votée… et même par des membres du parti de Theresa May.

Avoir des indicateurs favorables, voir un rebond se mettre en place, c’est bien mais ça s’entretient afin de traduire en progrès concrets pour les citoyens ; la période qui s’ouvre est une occasion unique de renforcer le projet politique européen. De fait, plusieurs échéances électorales permettent de croire en un souffle nouveau dans la gouvernance européenne. En France, en Allemagne puis en Italie, les élections doivent être un tremplin pour la promotion de réformes au sein de l’Union.

Dans les négociations du Brexit d’abord, il faut être intransigeant sur nos priorités. En ce sens, j’insiste sur plusieurs principes directeurs que nous avons fixés au Parlement. Les intérêts des citoyens doivent toujours être prédominants dans les pourparlers. Cela vaut pour les citoyens vivant au Royaume-Uni et pour les Britanniques résidant dans l’UE ; nous voulons un accord juste et équitable. Ensuite sur la question de la frontière irlandaise : le processus de paix en Irlande du Nord ne doit en aucun cas être fragilisé. Nous devons aussi être vigilants sur la future relation économique de l’UE et du Royaume-Uni : l’indivisibilité des quatre libertés du marché unique (la libre circulation des marchandises, des capitaux, des services et des personnes) et le paiement des sommes dues par les Britanniques.

Dans les futures réformes à mener ensuite, il faut faire preuve de détermination et d’efficacité.

Plus généralement, œuvrer à l’affirmation d’un pilier social fort dans les politiques européennes passe en premier lieu par l’aboutissement de la révision de la directive encadrant le détachement des travailleurs, le but étant de lutter contre le dumping social. En effet, il apparait que les déséquilibres de l’Union européenne ne sont pas qu’économiques mais aussi sociaux. En ce sens, l’égalité de traitement par l’application du principe « à travail égal, salaire égal, sur le même lieu de travail » est une priorité, de même que l’accès au droit syndical, au salaire brut de l’État d’accueil et à des services publics de qualité pour ceux des Européens qui sont détachés dans un autre Etat-membre. A terme, c’est le salaire minimum européen qui est ligne de mire, avec toutes les embûches qu’on imagine.

Les Députés du groupe des Socialistes et Démocrates sont en première ligne pour lutter contre les inégalités économiques et sociales, dont l’évasion et la fraude fiscale des multinationales sont des facteurs d’accroissement. Les entreprises du numériques notamment, que ce soit les ‘GAFA’ (Google, Apple, Facebook et Amazon) ou des acteurs émergents tel que AirBnB, n’hésitent pas à profiter des bases obsolètes du système fiscal, qui reposent sur le principe de la présence physique des entreprises. Ainsi, le taux effectif moyen d’impôt sur les sociétés des entreprises du numérique est inférieur à 9 % ; bien loin des 33,3 % de l’impôt sur les sociétés en France. Nous voulons accélérer une réforme globale en faveur d’un système fiscal moderne et équitable, appuyé sur l’ACCIS*.

Alors que la crise les a mis en évidence, il faut lutter contre les défauts d’organisation de la zone euro et en rendre plus efficace sa gouvernance. La démocratie sortirait renforcée de la création d’un ministère des finances européens et celle d’un parlement de la zone euro. Nous avons également pour objectif de créer un Fonds monétaire européen.

L’Europe demeure un acteur incontournable dans le contexte international et singulièrement dans la gestion des crises migratoire et environnementale.

Véritable cataclysme humanitaire, la question des réfugiés place l’Europe devant ses responsabilités : elle doit agir dans le sens de ses valeurs humanistes et solidaires. Nous ne pouvons laisser les États que la géographie a placés en première ligne venir seuls en aide aux réfugiés. En ce sens, il apparait cohérent que les membres de l’Union refusant d’accueillir des demandeurs d’asile soient sanctionnés par des procédures d’infraction. La Commission a entamé trois procédures de ce genre : contre la Hongrie, la Pologne et la République tchèque. L’objectif à demeure l’instauration d’un dispositif de relocalisation permanent et contraignant dans l’ensemble des États membres et de revoir le règlement dit « de Dublin ». Celui-ci prévoit que l’État membre responsable d’une demande d’asile est le premier pays par lequel le demandeur a fait son entrée sur le territoire européen. Nous plaidons pour un système de répartition qui prenne en compte leurs liens familiaux, sociaux et culturels, ainsi que les qualifications spécifiques des personnes relocalisées.

J’estime par ailleurs que l’Europe a beaucoup à jouer dans la lutte contre les dérèglements environnementaux : nous devons être à la fois le moteur et le modèle de la transition écologique. Parmi les propositions du groupe des Socialistes et Démocrates, la réduction d’au moins 40 % des émissions européennes de gaz à effet de serre d’ici 2030 et l’objectif d’une réduction de 95 % à l’échelle mondiale d’ici 2050. Il faut aussi agir sur nos modes de production, de moins en moins soutenables du point de vue de la gestion de nos ressources et de nos déchets. L’essor de l’économie circulaire peut-être une réponse car elle permet à la fois préservation des ressources naturelles, consommation durable, création de valeur et d’emplois, et réinsertion de personnes vulnérables.

Les défis devant nous sont très nombreux et tout aussi difficiles à relever, qu’il s’agisse du combat contre le chômage des jeunes, de l’établissement de règles commerciales équitables, des réponses à trouver aux défaillances de la politique agricole commune. La perspective des élections européennes nous ouvre la possibilité d’exprimer concrètement nos objectifs politiques pour un renouveau de l’Europe.

Brexit : les enjeux des négociations

Enclenchées le 29 mars 2017, les négociations du Brexit s’achèveront normalement le 29 mars 2019 : date butoir votée par le Conseil européen après laquelle, si aucun accord n’est trouvé, le Royaume-Uni deviendra un Etat tiers pour l’UE. Des sessions de discussions sont d’ici là organisées à intervalles réguliers. Le négociateur en chef de l’UE, Michel Barnier, s’y consacre aux côtés du ministre britannique du Brexit David Davis. Je reviendrai dans ce dossier sur quelques-uns des enjeux qui me paraissent essentiels dans ces pourparlers.

· L’ « Exit bill »

Le Royaume-Uni, en tant que membre de l’Union européenne, contribue financièrement aux activités communes de l’Europe. En ce sens, les Vingt-Sept sont unanimes sur le fait que le Royaume-Uni doit verser l’ensemble de sa contribution déjà prévue dans le budget pluriannuel en cours. Cela permettra de poursuivre les programmes financés par l’UE, sur le continent comme au Royaume-Uni, jusqu’à la définition du prochain cadre financier.

Le budget européen prévoyant des investissements sur 7 ans, Londres est ainsi engagée financièrement jusqu’en 2020. Ces engagements concernent des domaines variés, allant des aides aux agriculteurs et aux régions, en passant par les infrastructures et satellites ou encore les pensions des fonctionnaires européens… parmi lesquels des Britanniques.

Le montant n’est pas encore fixé mais la Commission européenne table sur une addition entre 60 et 100 milliards. De leur côté, les Britanniques, d’abord très opposés au principe d’un paiement, ont avancé un premier chiffre de 40 milliards d’euros. Un écart significatif, qui témoigne de l’envergure des désaccords dans ces discussions.

· La frontière irlandaise

La frontière qui sépare la République irlandaise de l’Irlande du Nord constitue un enjeu prioritaire des négociations du Brexit. Il s’agit d’une ligne de démarcation parmi les plus sensibles en Europe, qui fût le théâtre d’une guerre civile meurtrière dans les années 1990. Le Brexit pourrait provoquer ici des conséquences lourdes, tant sur le plan communautaire qu’économique. En effet, les liens entre les deux espaces sont particulièrement étroits.

Chaque jour, entre 20 000 et 30 000 personnes traversent la frontière longue de 500 kilomètres. On chiffre à 1,2 milliard d’euros par semaines les échanges entre les deux pays, le Royaume-Uni étant de fait le premier partenaire commercial de l’Irlande. A la complexité d’échanger des produits, s’ajoutera la difficulté pour les pêcheurs irlandais d’accéder aux eaux territoriales britanniques, ou encore la coupe des aides européennes pour les agriculteurs d’Irlande du Nord. La barrière douanière pourrait aussi freiner les exportations vers la France ou l’Espagne, gros consommateurs des produits pêchés en Irlande.

Le retour d’une frontière renforcée entre Dublin et Belfast, avec des barrières douanières pour vérifier l’origine des produits et de leur destination, serait pourtant l’issue la plus logique des négociations. La Norvège par exemple, simple membre de l’Espace économique européen, est dans ce cas. La fluidité des échanges serait alors forcément remise en cause. Face à cette menace, Londres redouble d’imagination et de propositions : enregistrement électronique à l’avance des camions, suivi d’une reconnaissance automatique de la plaque d’immatriculation, exemption de vérifications douanières pour les petites entreprises…

C’est aussi l’avenir du fragile processus de paix, entamé en 1998 avec l’accord du Vendredi Saint, qui est en jeu dans ces discussions. Une question d’autant plus sensible qu’en Irlande du Nord, les électeurs s’étaient majoritairement opposés au Brexit (55,8% contre 44,2%). Dans la circonscription de Derry/Londonderry, la ville symbole du conflit, c’est près de quatre habitants sur cinq (78,3%) qui avaient voté contre une sortie de l’UE.

· Le rôle du Parlement européen dans les négociations

Le Parlement européen est déterminé à jouer un rôle majeur dans les négociations du Brexit. Cela semble normal puisqu’il est l’organe démocratique par excellence de l’UE. A l’image de cette volonté, la  grande cohésion qui a caractérisé le vote du 5 avril 2017, au sujet de la résolution fixant les grands principes des débats du Brexit. En effet, une majorité de 516 voix s’est exprimée en faveur de cette résolution, tandis que seulement 133 députés se sont prononcés contre.

Pour le Parlement, l’enjeu n’est pas d’exercer un rôle punitif, mais d’affirmer fermement que le Royaume-Uni ne peut pas sortir de l’Union de façon indolore… sauf au détriment des autres états membres. De son côté, l’UE doit montrer que ces conséquences sont loin d’être anodines et dissuader d’autres tentations europhobes.

Parmi les lignes rouges fixées par le Parlement dans les négociations, l’interdiction de conclure un accord sur la future relation avec le Royaume-Uni, notamment commercial, avant que les conditions de départ ne soient fixées. Il est par ailleurs exclu que le gouvernement britannique réalise des négociations séparées avec certains pays, membres ou non de l’UE. Le Parlement européen disposera pour finir d’un veto final, synonyme de sortie sans accord. Le Royaume-Uni sait le risque majeur que représenterait cette issue : un commerce régi par les seules règles de l’OMC par exemple, aurait des conséquences très néfastes pour l’économie anglaise.

· Le sort des citoyens européens vivant au Royaume-Uni et des Britanniques résidant dans l’UE :

On compte aujourd’hui 3,2 millions de citoyens européens habitant au Royaume-Uni, et 1,2 million de Britanniques vivant dans un autre pays de l’UE. Des chiffres qui mettent en lumière l’importance de la question du sort des expatriés après le Brexit. Dans la résolution adoptée en avril, les députés européens soulignaient la particulière prédominance des intérêts des citoyens dans les pourparlers avec le Royaume-Uni. Il est essentiel que tous bénéficient d’un traitement équitable et ne soient pas utilisés comme un moyen de pression dans la négociation. En jeu, le maintien de leurs droits, en ce qui concerne l’accès au marché du travail, à la santé ou encore à l’éducation.

Le rôle de la Cour européenne de Justice doit par ailleurs être réaffirmé dans le cadre des litiges concernant ces questions. D’autant plus que les règles qui seront imposées aux Européens vivants au Royaume-Uni vaudront aussi pour les Britanniques vivants en Europe. Dès lors, il est fort probable que la vision des partisans du Brexit se heurte aux intérêts de leurs concitoyens expatriés. De fait, un durcissement de la politique d’accueil du Royaume-Uni aurait forcément pour réciproque le durcissement des conditions d’accueil des Britanniques en Europe.


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