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Portrait d’Hugo Huon « Ruer dans les Brancards »


Hugo Huon est infirmier à l’hôpital Lariboisière, à Paris

Il est cash. «Vous voulez que je verse une larme pour une personne que je n’ai jamais vue ? lâche-t-il en évoquant cette femme, morte, oubliée aux urgences de l’hôpital Lariboisière. Mais je ne la connais pas. Je pense à mes collègues qui sont seules à faire face à des situations insupportables.» Ou encore : «Les gilets jaunes ? Au début, je n’étais pas convaincu. Des gens qui ne réagissaient pas dans une société où tous les jours d’autres meurent dans la rue… Et là, pour une augmentation de 10 centimes de l’essence, les voilà dehors. Après, j’ai compris et je les soutiens.»

Voilà. Hugo Huon est ainsi, instinctif et sans fard. Lui, qui préside le collectif Inter-Urgences à l’origine de ce mouvement de grèves inédit en France, est tout d’une pièce, avec un côté rimbaldien à fleur de peau. «J’aime bien les fuites en avant», avoue-t-il. A peine 30 ans, désespéré de la vie mais terriblement actif : «Cinq ans aux urgences de Lariboisière, c’est cinq ans dans l’inhumanité extrême.» Dans un an, à cette heure-ci, Hugo sera perdu au fin fond du Canada, en train de travailler sur la santé au sein de la communauté inuit. En tout cas, c’est son rêve.

On a compris, le monde est perclus d’injustices. Et la suite n’est qu’un défi : tenter de faire néanmoins quelque chose de sa vie. Parfois, Huon craque et se brise, passant par des crises de panique qui le surprennent. Puis il se relève, se remet debout, à regarder ce monde qui va mal. «A la grande réunion solennelle au ministère, avec la ministre et toutes les organisations qui étaient là, je me disais : “Mais c’est quoi ce monde ?” Ils viennent dire qu’avec notre grève on a raison, que nos conditions de travail sont insupportables. Mais cela fait vingt ans qu’ils le savent !»

Hugo Huon n’est ni cynique ni narquois. Il est breton, enfant de Saint-Malo. «Se laisser faire son portrait par un journaliste et parler de soi, c’est de la prostitution, mais au collectif, on s’est dit que cela pouvait servir.» Alors, il accepte de répondre. Parle sans faux-fuyant, passant aussi vite du drame de son enfance, - le suicide, «supposé» dit-il, de sa mère -, à ce qu’il aime ces jours-ci le plus au monde, à savoir cette solidarité entre soignants dans les urgences. «C’est pour cela que je me bats. Dans les services durs comme les nôtres, les liens entre nous sont uniques.» Ou encore : «Ce que j’aime bien dans mon travail, c’est qu’il faut être rapide. On a peu de temps, il faut rassurer. Et le faire très vite. Et puis, on est dans un tel bassin d’inégalités.» Et là, il se montre encore intarissable : «La nuit, à Lariboisière, c’est le fin fond du malheur. Comment y croire ? Le soir de la victoire, lors de la Coupe du monde, il y avait une queue de personnes totalement saoules, malades en diable. Impossible de les prendre en charge. L’un est mort, tombé par terre. Une autre fois, des Pakistanais se battaient au couteau. Comment voulez-vous espérer ? Des gens sont là qui attendent des heures. Des SDF viennent parce que leur pansement s’est infecté, d’autres n’en peuvent plus et font semblant de convulser pour qu’on les prenne en charge.» Dans cet enfer, il résiste à sa manière : «Je me raccroche à ce que je peux faire.»

«Soutien», «aider», ce sont les mots qu’il aime le plus. Enfant, il en a peut-être manqué, entre ses deux grandes sœurs et son petit frère, son père qui travaille aux douanes et sa mère, institutrice qui se noie dans la maladie et l’alcool. Bac en poche, il multiplie les petits boulots à travers la France comme d’autres montent à bord d’un navire pour aller voir plus loin. Au hasard d’une colocation, un de ses amis s’inscrit dans une école d’infirmières. Il se dit pourquoi pas, se présente, réussit. Il déteste ces études où les brimades sont légion, où les infirmières plus âgées se défoulent sur le dos tendre des débutantes. Il atterrit en psychiatrie, puis dans une clinique historique, celle du Chênaie, près de Blois, un des berceaux de ce que l’on a appelé la «psychothérapie institutionnelle». «Au Chênaie, c’était un îlot de bienveillance.» Hugo s’en va pourtant. Comme toujours. Il voyage en Inde où il découvre les vertus du massage ayurveda. Revient à Paris. Fin 2014, le voilà infirmier dans un des services d’urgences les plus chargés et les plus difficiles de Paris, celui de l’hôpital Lariboisière, près de la gare du Nord et de Barbès, où tous les perdus de la ville se retrouvent. Dans ce chaudron, il se plaît. Tout en multipliant les activités annexes, en accumulant les diplômes universitaires. Il gagne 1 600 euros net par mois, pas complètement à temps plein pour pouvoir suivre un master d’économie et gestion de la santé. «J’ai besoin d’apprendre», répète-t-il.

Politisé ? Non, mais il aurait voté vert aux européennes s’il avait retrouvé sa carte d’électeur. L’été dernier, celui qui vit seul avait été, avec quelques autres, à l’origine d’une toute première grève, pour dénoncer le manque criant de personnel et les conditions honteuses de travail. Cela n’avait rien donné. Et il avait fallu qu’une femme meure oubliée, en janvier, dans les locaux des urgences de «Larib» pour que l’on en parle dans les médias et que la direction de l’AP-HP réagisse et lâche quelques postes supplémentaires. «Là, c’est inédit. Le mouvement est parti de l’hôpital Saint-Antoine, en mars, après la blessure d’un personnel soignant lors d’une rixe, raconte Hugo. Ils nous ont appelés. Et à la troisième réunion, avec le groupe des cinq (l’hôpital Tenon, Saint-Louis, La Pitié, Lariboisière et Saint-Antoine), on s’est lancé.» Ils sont depuis une petite vingtaine, infirmièr·e·s, aides-soignantes, autour de la trentaine, aucun n’est syndiqué, mais tous proches les uns des autres. Cela a fait tache d’huile, plus d’une centaine de services sont en grève. Le collectif s’est structuré. «Les syndicats nous appuient fortement, mais chacun à sa place. On a une structure pour les finances, les actions, etc. Avec des rendez-vous toutes les semaines.» Et WhatsApp pour les liens.

«Aux urgences, on aime parler vrai, ajoute Candice Lafarge, aide-soignante à Saint-Antoine, autre vedette du collectif. Chez Hugo, ce qui me frappe, c’est sa détermination.» Récemment, il y a eu une réunion avec la direction générale de l’AP-HP. «Ils nous ont proposé 110 postes supplémentaires (1) pour les services d’adultes et 50  pour enfants. A condition que l’on arrête immédiatement la grève.» On devine la suite. «La question est de savoir si on maintient la grève jusqu’à la fin de la mission lancée par la ministre en septembre. Je ne sais pas», lâche celui qui ne s’imaginait pas vivre au-delà de 30 ans.

13 heures, Hugo file à un rendez-vous. Il aime travailler la nuit. Et l’on se dit que les hôpitaux de Paris ont bien de la chance d’avoir des salariés comme lui.

(1) la dernière proposition est aujourd’hui de 230 postes.

Interview Eric Favereau

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