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L’Origine des MJC - Etape 3


L’histoire entre André Philip et les MJC

Je voudrais maintenant entrer dans l’histoire des Maisons de Jeune et de la Culture, essayer de montrer que la question de l’éducation populaire est une des questions où se manifeste, avec le plus de force l’union d’André Philip - le chrétien et le socialiste - mais aussi d’André Philip, l’homme d’action et l’homme de réflexion.

La République des Jeunes, je l’ai dit tout à l’heure, se trouve confrontée à un certain nombre de difficultés lorsque, début 46, plusieurs mouvements de jeunesse veulent quitter le mouvement et le salut est venu en grande partie de la mise à disposition des mouvements et de cette République des Jeunes d’un homme Albert Léger.

Il va structurer le mouvement et, au cours des deux années qui suivent, jusqu’à l’assemblée générale constitutive de la Fédération Française des Maisons des Jeunes et de la Culture qui succèdent à la République des Jeunes en janvier 48, il s’appliquera à construire une véritable Fédération de Maisons de jeunes et de la Culture dotées de statuts type.

Le principe de base de ces statuts était que les usagers disposaient à tous les niveaux de la structure fédérale de la majorité des voix dans les instances, cependant les pouvoirs publics, les mouvements de jeunesse et les syndicats participaient aussi à ces instances ainsi que les directeurs salariés au nom du principe de cogestion. Ce principe découlait d’abord d’un état de fait : la nécessité de faire coexister différents partenaires, dont l’Etat et les collectivités locales, qui subventionnaient les Maisons, tout en assurant une gestion démocratique « participative » selon le terme de l’époque. « Il s’agissait de réfuter tout forme de paternalisme », toujours selon un terme de l’époque dont André Philip fait un abondant usage pour décrire ce qu’il refusait.

André Philip voulait promouvoir la démocratie comme forme de gouvernement et surtout comme art de vivre, ce qui - disait-il « supposait dans ces conseils d’administration la prise en compte de la diversité des partenaires dans une perspective de laïcité ouverte, active ou encore de laïcité entendue dans un sens positif ».

Cette nouvelle laïcité (dont on a compris les fondements tout à l’heure) était au cœur du projet des MJC qui s’inscrivait dans le courant de la laïcité spiritualiste de la Libération, c’est-à-dire d’un nouvel imaginaire éducatif et social, pluraliste, qui institutionnalise les groupements intermédiaires et les familles spirituelles et qui voit dans cette opération le fondement de la Liberté et de l’efficacité.

La philosophie d’André Philip concordait parfaitement avec cet état d’esprit.

Je cite à nouveau : « la diversité des opinions n’est pas un mal inévitable mais un bien nécessaire. L’opposant n’est pas un adversaire mais un ami dont les critiques nous aident ».

Ces propos, publiés dans une brochure à Alger en 44, furent repris tels quels par André Philip dans son allocution d’ouverture de l’Assemblée générale constitutive des Maisons des Jeunes et de la Culture.

André Philip voulait, avec les Maisons des Jeunes et de la Culture, s’éloigner des offices municipaux pour promouvoir une éducation populaire conçue comme une prise de responsabilités par la pratique associative démocratique.

André Philip, professeur d’économie affirmait la nécessité d’une formation économique destinée à faire prendre conscience par les travailleurs des mécanismes qui régissent leur vie quotidienne et les MJC multiplièrent à cet effet, dans les années 50 et 60, les Cercles d’Initiation Economique et Social. Elle s’efforçait aussi d’intéresser les syndicats à leurs actions. Il faut le dire avec relativement peu de succès.

Au cours des années 50, la Fédération connut un développement lent, les subventions n’étaient pas là, en tout cas pas à la hauteur des ambitions fixées par leur président, André Philip, dès l’assemblée constitutive.

André Philip avait dit dans son discours introductif « nous espérons que les MJC deviennent pour la 4ème république ce que l’école laïque a été pour la 3ème république ». En fait, ce fut la 5ème république qui réalisa certaines de ses ambitions même si André Philip (mais c’est une autre histoire) s’est opposé à l’arrivée du Général de Gaule et à la constitution de la 5ème république.

En effet, c’est Maurice Herzog, Haut-Commissaire à la Jeunesse et aux Sports qui met en œuvre une politique majeure de soutien à la Fédération Française des Maisons des Jeunes et de la Culture à partir de 1959.

Il lança immédiatement après l’été dit des blousons noirs un appel aux Maires dans le Monde où il les incitait à construire des Maisons de Jeunes qui apparaissaient comme la solution.

L’expérience accumulée dans ce domaine par les Maisons des Jeunes et de la Culture, le sérieux de son organisation en ont fait un partenaire privilégié pour Maurice Herzog d’autant que le directeur de cabinet de Maurice Herzog – Olivier Philip – mon père (le fils d’André Philip) était en lien direct avec le président de la Fédération des Maisons des Jeunes et de la Culture et, c’est une époque où des dizaines de Maisons des Jeunes et de la Culture étaient créées chaque année. Jusqu’au départ de Maurice Herzog et d’Olivier Philip, début janvier 1966, le soutien de l’Etat ne s’est jamais démenti.

L’appui moral et financier apporté aux MJC et à leur fédération peut être résumé par quelques chiffres : au milieu des années 60, près de la moitié des subventions du secteur Jeunesse et Education populaire allait aux seules MJC, près des 2/3 des équipements de type maison et foyer de jeunes construits dans le cadre de la première loi de programmation d’équipements 1961-65 avaient été confiés à des MJC. Enfin, le nombre d’animateurs professionnels des MJC avait été multiplié par 8 au cours de la décennie passant de 50 à près de 500.

André Philip se trouvait donc au milieu des années 60 à la tête d’une Fédération puissante. Il pouvait comme beaucoup de responsables nourrir l’espoir de voir se réaliser le rêve d’incarner le service public de l’éducation populaire par la voie associative.

L’heure était donc en 1966 à l’optimisme car la Fédération des Maisons des Jeunes et de la Culture n’était pas seulement puissante elle tenait une place originale dans le monde associatif, singulièrement sous l’angle des rapports avec l’Etat. Aucune autre association ne percevait autant de subventions de l’Etat, tous ministères confondus. La Fédération demeurant sous le strict régime de la Loi de 1901 puisque l’Etat représenté par la Jeunesse et les Sports et d’autres administrations était membre de droit mais très minoritaire. L’Etat ne disposait d’aucun droit de véto sur les décisions souveraines des conseils d’administration. C’est cette indépendance de la Fédération par rapport à l’Etat malgré son soutien fort qui était au cœur de la vision d’André Philip.

La seconde partie des années 60 allait brutalement révéler la fragilité de la Fédération des Maison des Jeunes et de la Culture.

François Missoffe, le nouveau ministre de la Jeunesse et des Sports à partir de janvier 66 est décidé à rompre avec la division du travail entre associations de jeunesse et Etat qui s’était imposé depuis la Libération. Missoffe craint que la Fédération des Maisons des Jeunes et de la Culture se développe dans le domaine de l’éducation populaire comme une puissance analogue à celle de la Ligue de l’Enseignement et il pensait que l’heure était venue pour l’Etat de prendre à nouveau la responsabilité de l’animation de la politique de jeunesse. Il préparait en fait dans le plus grand secret une nationalisation de la Fédération des Maisons des Jeunes et de la Culture qui avait, outre son poids financier, le tort d’avoir le « cœur à gauche » puisqu’André Philip en était le président.

André Philip eut très tôt conscience que Missoffe voulait la perte de la Fédération des Maisons des Jeunes et de la Culture et de fait le Ministre multiplia les entraves à la marche de la Fédération retardant en 1967 le versement des subventions, ce qui mettait en péril une association qui se devait d’avoir une trésorerie saine car l’essentiel de son budget servait à verser des traitements mensuels.

Les difficultés financières de la Fédération ont entraîné une montée du pouvoir des techniciens directeurs professionnels et délégués en charge de l’encadrement au détriment des élus issus des MJC. La raison en était simple : les directeurs professionnels des MJC disposaient du fait de leur fonction de gestionnaire d’une expertise financière qui manquait à la plupart des élus. Au sein du conseil d’administration fédéral où ils siégeaient dans le cadre de la cogestion, les représentants du personnel ont pris peu à peu une importance croissante loin d’être toutefois exclusive. Ils estimaient qu’ils n’avaient pas à être sacrifiés sur le plan financier en raison des difficultés de la Fédération. Le fait qu’ils étaient issus pour l’essentiel de la CGT très largement majoritaire parmi les directeurs a fait évidemment qu’aggraver leur cas aux yeux de François Missoffe.

Au début 68, la situation de la Fédération devient catastrophique, principalement en raison de l’incertitude sur la politique du gouvernement à son égard. Des rumeurs de faillite circulent tandis que les menaces se précisent, bien que toujours à l’état de rumeur, André Philip mis tout son poids dans la balance, eut à deux reprises des entretiens avec le Général de Gaulle où il lui demanda d’imposer à François Missoffe des subventions destinées aux MJC.

Le Président de la République ne put qu’avouer son impuissance à faire accepter par le Ministre la rallonge budgétaire et le 31 mars 1968 au cours d’une séance du conseil d’administration, André Philip annonce brutalement sa démission de la présidence et lut une déclaration publiée le lendemain dans le Monde. Ce texte était un véritable réquisitoire contre le Ministre François Missoffe et le Syndicat des Directeurs accusé de pratiquer la politique du pire. Je cite André Philip : « Lorsqu’au lendemain de la libération à Lyon, j’ai pris l’initiative de créer ce qui est devenu la Fédération Française des Maisons des Jeunes et de la Culture, il s’agissait en opposition au Régime de Vichy d’affirmer l’existence de l’éducation populaire permanente cogérée par l’Etat, les autorités locales, les utilisateurs jeunes et adultes. Nous avons pendant vingt ans accompli cette tâche avec un certain succès. Depuis deux ans, tout a changé : un ministère de la Jeunesse a été constitué considérant comme au temps de Vichy ce groupe d’âge comme une classe sociale séparé confiné dans son ghetto. J’ai tenté à deux reprises d’expliquer au Ministre les problèmes de l’éducation permanente. J’ai dû constater que rien ne l’intéressait en dehors de sa publicité personnelle ce qui ne me permet plus de le respecter. Les progrès même de la Fédération ont ossifié sa structure. Le Syndicat CGT du personnel renforcé par le mécontentement général suscité par l’attitude du Ministre, à substituer à la coresponsabilité gestionnaire un esprit de revendication et d’agitation permanente. Tout se passe comme s’il y avait objectivement une collusion entre un ministre désireux de détruire la Fédération et un Syndicat soucieux de profiter de cette destruction pour favoriser la propagande d’un parti politique. Ayant été appelé à des fonctions internationales importantes je ne dispose plus du temps nécessaire pour combattre à la fois un Ministre hostile et un syndicat irresponsable ». (André Philip venait d’être nommé à l’OCDE).

L’émotion dans la Fédération fut immense après la démission d’André Philip et les archives comportent encore quelques-unes des lettres envoyées par les différentes MJC pour demander au président Philip de reprendre son poste. Quelques voix moins nombreuses lui reprochèrent de « quitter le navire alors qu’il menaçait de sombrer » et tout cela se reconstruira après mai 68 et donnera les Maisons des Jeunes et de la Culture que vous connaissez aujourd’hui.

Au printemps 70, quelques mois avant sa mort André Philip était très amer. Avec le recul, certaines des critiques qu’il formulait à l’encontre de la Fédération à la fin des années 60 paraissent peu fondées voire injustes. Si la bureaucratisation était incontestable, la dérive technocratique était au moins le fait de certains des délégués à l’origine de la scission que des seuls directeurs. Elle provenait aussi de la difficulté des élus à adapter le projet des MJC aux transformations sociales que connaissait alors la société française.

Quant à la centralisation, elle n’était pas nouvelle. Le projet de la Libération, celui d’André Philip qui consistait à garantir la neutralité des MJC par un arbitrage fédéral national le portait au moins en germe puisqu’il y avait bien un étage national. De même en 52, l’avant-projet de loi sur l’éducation populaire préparé par ce même André Philip avait suscité d’extrêmes réserves dans les mouvements de jeunesse dont beaucoup dénoncèrent à l’époque l’étatisme et le centralisme dont il était porteur.

Voilà ce que l’on peut dire de cette longue histoire des Maisons des Jeunes et de la Culture qui ont survécu au XXème siècle et qui, aujourd’hui, sont des associations fortes jouant un rôle important, adapté aux évolutions de la société mais qui gardent les idées initiales d’André Philip, à savoir la Laïcité, la Démocratie et le Contrôle par les membres des objectifs de l’Association.

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