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La parole à… Steven Le Gouill


Je donne la parole à Steven Le Gouill, Directeur de l’Ensemble hospitalier de l’Institut Curie dans sa Tribune « L’augmentation du coût de l’énergie s’annonce stratosphérique dans le budget des établissements de soins » paru dans du Monde du 25 novembre 2022 :

« La facture énergétique n’explose pas seulement aux visages des ménages et des entreprises, elle s’invite aussi en plein cœur de la crise sanitaire. Le coût de l’énergie s’annonce déjà stratosphérique dans le budget des structures de soins, ajoutant une ligne de plus dans la très longue litanie des difficultés auxquelles les soignants et leurs directions doivent faire face.

Les prévisions budgétaires pour 2023 ne peuvent qu’alerter sur l’urgence du problème : une multiplication parfois par sept pour la facture de gaz est prévue, et, pour l’électricité, le prix du mégawhattheure a déjà bondi de 85 à plus de 1000 €. Au total, une augmentation globale de la facture énergétique de l’ordre de 100% n’a absolument plus rien de délirant. Traduit en euros, il faut donc s’attendre à une augmentation d’au moins sept chiffres pour une structure de taille moyenne.

La vétusté de notre parc immobilier hospitalier alourdira encore plus la facture, de nombreuses structures étant des passoires thermiques. Un établissement de soins est pourtant un monstre de consommation d’énergie : il ne s’agit pas uniquement de chauffer les chambres des patients, les salles de soins, les blocs opératoires, ou de préparer les repas, mais aussi de faire marcher les scanners, les IRM, de stocker les données des patients dans des salles qu’il faut maintenir à température.

Si on ajoute les appareils de radiothérapie, les congélateurs à moins 80°c, les ventilateurs et l’aération de certains espaces, on comprend vite que le problème ne se règlera pas seulement par une campagne anti-gaspillage pour sensibiliser les usagers et les soignants à l’importance d’éteindre la lumière et l’ordinateur en sortant.

L’augmentation de la facture énergétique pose tout simplement la question de savoir comment continuer à faire fonctionner nos établissements sans dégrader la qualité des soins, voire des interrogations plus cruciales encore pour certaines structures déjà en difficulté financière. Des questions existentielles d’équilibre financier vont immanquablement faire suite à cette problématique énergétique.

Dans le monde de l’entreprise, une telle hausse des coûts de production se traduit inévitablement par une augmentation du prix de vente. Cette équation est strictement impossible dans le modèle économique de la santé car les tarifs des actes ne sont pas libres. C’est le principe de la désormais célèbre T2A (tarification à l’activité) qui est basée sur un remboursement spécifique pour chaque acte fixé annuellement par l’Etat. Le tarif de chaque acte s’entend comme étant « environné », c’est-à-dire qu’il inclut tous les à-côtés nécessaires pour le réaliser, y compris le salaire du soignant et le coût de l’énergie. L’ensemble des dépenses de santé est contenu dans une enveloppe elle-même fermée, l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (245,9 milliards d’euros en 2023 soit une augmentation de 3,7 % par rapport à 2022).

Pour faire simple, la santé est un « marché » clos. Quand l’Etat décide d’aider les hôpitaux (par exemple les salaires dans le cadre du Ségur de la santé), il transpose son soutien dans les tarifs. L’effet pervers de ce mécanisme est que si les charges augmentent (ou explosent quand il s’agit de l’énergie) il faut pour les compenser, augmenter mécaniquement l’activité, c’est-à-dire faire plus d’actes avec moins de soignants, avec des charges qui augmentent et qui ne seront compensées que si ces actes sont réalisés… L’équation est insoluble quand il s’agit de couvrir une augmentation aussi forte sur une période aussi courte.

L’idée de plafonner le coût de l’énergie pour les hôpitaux se posera forcément et pourra offrir une porte de sortie court-termiste. Mais il faudra bien, quoi qu’il en soit, régler la facture, en mettant le contribuable ou toutes les entreprises à contribution si nous voulons maintenir un niveau de soins digne.

La question de l’énergie nous rappelle que la santé à un coût. Si cette notion peut heurter, c’est un principe de réalité. Le grand public avait déjà compris que les salaires des soignants devaient augmenter (le titre 1 en langage médico-financier), que les médicaments eux aussi augmentent inexorablement (le titre 2, dépenses à caractère médical).

Il nous faut dorénavant admettre que tout l’environnement de la santé augmente (le titre 3, charges à caractère non médicale). Ce dernier axe de dépenses connaîtra encore des hausses, l’économie de la santé étant connectée à l’économie globale, et donc à l’inflation.

Des mesures protectrices doivent être prises. Dans un premier temps, le gel du coût de l’énergie est la seule mesure permettant aux structures médicales de passer l’hiver. Cette aide ne devra pas être traduite dans le coût des actes, car chauffer un hôpital ne dépend pas du nombre de personnes qui y sont traitées. La dépense énergétique devra faire l’objet d’une enveloppe spécifique directement reversée aux institutions.

A moyen et long terme, une politique de soutien à la modernisation des locaux hospitaliers est à construire. On pourrait imaginer de créer un crédit d’impôt environnemental spécifiquement dédié aux structures de soins pour récompenser la sobriété énergétique, et qui serait adapté au profil de soins de l’institution. Une stratégie pour l’énergie dans la santé doit rapidement voir le jour afin que le règlement de la facture énergétique ne devienne pas le facteur limitant des soins. »

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