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La parole au journal Les Echos


Cet éditorial des Echos du 1er janvier 2023 « Le choc des égoïsmes » mérite réflexion. C’est la raison pour laquelle je la partage avec vous lecteurs :

« Egoïste. C’était en 1990 une publicité pour une grande marque de parfum. Sur la façade d’une maison à l’architecture inspirée de l’Andalousie, des fenêtres s’ouvraient brutalement les unes après les autres. Et des femmes qui semblaient sorties tout droit d’un film d’Almodovar hurlaient ce mot : « égoïste », dans une forme de compétition hystérique (très peu féministe).

Trente-trois ans plus tard, en 2023, cette publicité jadis branchée apparaît presque comme le meilleur résumé, sinon la meilleure explication au quasi-chaos du monde dans lequel nous vivons. Un monde dominé par les égoïsmes multiples et variés qui s’additionnent de manière négative les uns aux autres, jusqu’à mettre en danger le bon fonctionnement, voire à terme la survie de la planète.

Cet égoïsme semble être le produit de la rencontre entre l’individualisme le plus forcené et l’intolérance la plus grande. Mais son triomphe s’explique aussi par l’affaiblissement croissant de toutes les institutions qui pourraient jouer un rôle de médiation et de conciliation. Et cet égoïsme est d’autant plus dangereux qu’on en retrouve les manifestations à l’intérieur des sociétés autant que dans le domaine international, comme un facteur déterminant d’explication des conflits dans le monde.

Des moments collectifs fugitifs Il est facile de décliner la liste de ces égoïsmes qui érodent progressivement le sens du bien commun. Il est paradoxal de voir que nous pouvons communier à des passions collectives - le dernier Mondial de football en est l’illustration la plus spectaculaire - nous retrouver derrière l’hommage à une figure légendaire, comme celle du roi Pelé dont le sourire rayonnant rappelle celui de Nelson Mandela. Mais ces phénomènes de fusion émotionnelle derrière un sport, derrière des hommes, ne sauraient masquer une autre réalité : celle du choc des égoïsmes.

Ces égoïsmes il est possible de les décliner comme un catalogue à la Prévert. Egoïstes, les contrôleurs de la SNCF en France, qui en prenant leurs usagers en otage à la veille d’un weekend de Noël, imposent par le chantage leurs revendications. Sans se rendre compte qu’ils remettent en cause à terme la survie de leur entreprise en ouvrant grand les portes à la concurrence. Les usagers lésés ont la mémoire longue et n’ont guère apprécié ce recours à l’équivalent, en matière sociale, de la menace d’utilisation de l’arme nucléaire en matière internationale.

Egoïstes aussi, ces « bolchéviques de l’identité » qui entendent fermer les frontières de leurs pays respectifs à toute forme d’immigration. Les plus égoïstes se retrouvant souvent dans le camp de ceux qui furent « les derniers à entrer », et qui referment derrière eux les portes du Paradis. Un phénomène particulièrement notable aux Etats-Unis chez les Latinos qui rejoignent le camp des républicains les plus conservateurs, comme pour « blanchir » par leurs choix, leurs origines… ou en Grande-Bretagne chez les ministres pro-Brexit pourtant originaires du Commonwealth.

Dans une Europe vieillissante à la démographie négative, il serait économiquement rationnel d’ouvrir nos portes à un apport de sang nouveau, d’énergies et d’appétit de succès venues d’ailleurs. Mais émotionnellement, c’est exactement l’inverse qui se produit, dans un repli frileux et peureux sur soi-même, traduction de tous les égoïsmes et de toutes les peurs.

La faiblesse des Nations unies

Egoïstes aussi ces « bolchéviques de la laïcité » en France qui entendent imposer la lecture la plus étroite, la plus intolérante surtout de ce concept. Me trouvant le soir de Noël dans les rues de la ville de Roscoff en Bretagne, j’ai pu bénéficier de larges extraits de l’Oratorio de Noël de Bach grâce à la sonorisation mise en place par la municipalité. Les pierres grises de la ville faisaient chanter les notes du Cantor de Leipzig. Qui, au nom de la défense de la laïcité, aurait pu me priver d’un tel moment de beauté ?

Certes, l’égoïsme est un sentiment naturel à l’homme. Et la confrontation des égoïsmes est dans l’ordre des choses. Il me semble pourtant que la montée des égoïsmes a connu au cours des dernières années une accélération vertigineuse. Un approfondissement qui est facilité par la crise des corps intermédiaires et celle de toutes les institutions qui ont vocation à jouer les médiateurs : qu’il s’agisse des syndicats à l’intérieur des pays, ou sur le plan international d’organisations comme l’ONU.

La comparaison entre la faiblesse des syndicats et celle des Nations unies peut paraître osée, mais à la réflexion, elle fait sens. Ces institutions souffrent les unes comme les autres, d’un problème de représentativité et de crédibilité. La faiblesse toujours plus criante des syndicats dans des pays comme la France et la Grande -Bretagne, ouvre la porte à toutes les surenchères, à toutes les fuites en avant dangereuses pour l’équilibre de l’ordre social. L’explosion des inégalités, qui s’est accélérée au cours des dernières années, a sans doute fait le lit de cette prise de pouvoir par les voix les plus extrêmes.

Le détricotage d’un monde

Au niveau international le secrétaire général des Nations unies, le Portugais José Guterres est un homme, qui dans des circonstances moins défavorables, aurait pu donner, pour le bénéfice du monde, le meilleur de lui-même. Mais « encerclé » par des puissances prêtes à appliquer aux Nations unies la formule de Staline : « Le Vatican combien de divisions ? », que pouvait-il faire ? Tout comme les syndicats au niveau social, le secrétaire général des Nations unis est de moins en moins capable de faire entendre la voix de la raison, de la modération et du compromis.

La montée irrésistible de la rencontre entre l’égoïsme absolu des uns et l’intolérance souvent fanatique des autres explique largement le détricotage progressif des règles (internes et externes) du monde dans lequel nous vivons. Pourquoi respecter les droits des « Autres » qu’ils soient partisans d’une autre orientation sexuelle, croyants d’une autre religion, adhérents d’un autre parti, originaires d’un autre continent ? « Moi, moi d’abord, et rien que moi. » Et cela même si cette intolérance et cet égoïsme absolu mènent à la catastrophe, la cause, c’est-à-dire le parti, la nation, la religion que vous prétendez défendre.

« Après moi le déluge », disait Louis XV, parfait porte-parole des égoïstes. « Pourquoi moi, s’il n’y a que moi », lui répondait Soljenitsyne. »

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