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En mémoire des enfants d’Izieu


Aujourd’hui, nous célébrons le 79ème anniversaire de la Rafle d’Izieu.

En tant que président de la Maison d’Izieu, comme chaque année, je prononçais un discours. Vous le trouverez, ci-après :

« Nous entrons cette année dans une période où vont se succéder les anniversaires. Nous fêtons en effet les trente ans du décret présidentiel qui, en 1993, crée le Mémorial des Enfants d’Izieu, l’un des trois lieux de la mémoire nationale des persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait du gouvernement français.

Les deux autres lieux sont le Vélodrome d’Hiver (« Vél’ d’Hiv’ ») à Paris et le camp de Gurs. Nous sommes donc le seul lieu de mémoire encore en activité ayant été désigné comme Mémorial National dans le décret présidentiel de 1993.

Nous entrons aussi dans la période anniversaire de la création de la colonie il y a 80 ans, en 1943, et l’année prochaine malheureusement ce sera le triste anniversaire des 80 ans de la Rafle.

Cette année nous commémorons donc le lieu emblématique créé en 1943 par le couple Zlatin qui initialement avaient créé une Maison pour les Enfants Juifs dans l’Hérault en zone libre en novembre 1942. La zone libre ne l’est pas restée et très vite les allemands avaient occupé Montpellier et le département.

L’Italie ne raflant pas les juifs pour les déporter, plusieurs centres d’hébergement pour enfants avaient alors déménagé vers la zone d’occupation italienne et c’est pour cela que la colonie s’est installée à Izieu au début du printemps 43. Malheureusement, dès septembre 43, les troupes allemandes, Wehrmacht et Gestapo ensemble, se sont rapprochées de la frontière suisse. Le danger lui aussi s’est rapproché et, depuis mars 1944 Sabine Zlatin cherchait un autre lieu.

La Maison d’Izieu est un lieu emblématique puisque du printemps 43 à avril 44, plus d’une centaine d’enfants juifs ont été accueillis, 60 ont été sauvés au cours de cette année 1943-1944 puisqu’ils n’étaient pas là le 6 avril.

Nous allons inaugurer tout à l’heure l’exposition « L’année 43 à la colonie ». Cette exposition témoigne du contexte de la création, de la vie quotidienne durant les premiers mois et présente 35 documents originaux, issus de nos collections dont certaines photographies sont dévoilées pour la première fois. C’est le quotidien de cette première année que l’exposition vous invite à percevoir au travers de documents d’archives, photos souvenirs, courriers administratifs ou privés, témoignages mais aussi le parcours qui permet de découvrir les solidarités qui commencent bien sûr par le sous-préfet de Belley, Pierre-Marcel Wiltzer mais aussi la bienveillance des voisins, de la famille Perticoz et c’est la vie que vous allez trouver dans cette exposition, la vie et le sauvetage de 60 enfants juifs.

Rappelons que le confort de la Maison était limité, que les bâtiments n’étaient pas en très bon état, qu’il n’y avait pas de chauffage à part de petits poêles, qu’il n’y avait pas non plus l’eau courante et que c’était dans le bassin (ici devant nous) que l’on se lavait, sauf l’hiver où l’on chauffait l’eau dans les poêles à bois.

La vie en 1943 ce sont les activités, les jeux, les baignades dans le Rhône, les promenades et encore et surtout le dessin qui rythment la vie de la colonie. Madame Zlatin étant elle-même peintre et Miron disant à plusieurs reprises que les enfants sont « des papivores, qu’ils lui réclament toujours plus de cahiers, et de crayons ». Chaque fête est l’occasion de resserrer les liens, les enfants ne s’expriment qu’en français grâce à Gabrièle Perrier, l’institutrice d’Izieu, ils sont à l’école et grâce à Philippe Dehan, le jeune cuisinier s’ajoute au dessin l’amour du cinéma et donc la création de ces rouleaux dessinés, destinés à être projetés à la lueur d’une source lumineuse que vous pouvez découvrir dans la Maison et que nous avons fait revivre l’an dernier.

Lieu de vie et de sauvetage de 60 enfants, la Maison est également le lieu du drame dont nous fêterons le triste anniversaire l’an prochain

Le 6 avril 1944 les 44 enfants et leurs 7 éducateurs sont raflés par Klaus Barbie qui signera son crime contre l’humanité. Personne n’est revenu à l’exception d’une éducatrice, Léa Feldblum, qui a survécu et dont nous avons écouté l’année dernière ici même le témoignage.

Cette année anniversaire de la création de la colonie est également marquée par l’aide considérable que nous apporte la Bibliothèque Nationale de France qui l’année dernière en 2022 avait coédité avec nous l’ouvrage « On jouait, on s’amusait, on chantait – Paroles et images des enfants d’Izieu 1943-1944 ». L’ouvrage est centré sur l’année de vie de la colonie et s’accompagnait déjà du prêt à la Maison d’Izieu d’une vingtaine d’originaux – lettres et dessins - qui nous avaient permis de créer l’exposition « Couleurs de l’insouciance - Paroles et images des enfants d’Izieu ».

Cette année, de janvier à juillet, au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme à Paris grâce à la BNF et avec l’aide du Mahj et de la Maison d’Izieu une grande rétrospective « Tu te souviendras de moi – Paroles et images de la Maison d’Izieu » permet au public parisien de découvrir les trésors conservés à la BNF depuis la donation de Sabine Zlatin.

Il y a des originaux que nous n’avions jamais vus jusqu’ici et en particulier les lettres et dessins de Georges Halpern qui nous ont été donnés par notre ami, Serge Klarsfeld. Il y aussi de très beaux dessins d’Otto Wertheimer, jeune allemand qui n’a pas de relation avec la famille de ma mère, la famille lyonnaise de Pierre Wertheimer mais auquel personnellement je m’identifie aussi volontiers. Sous le nom d’Octave Vernet, il dessine et signe un très beau chat botté et des cow boys dont un cheval ainsi qu’une très belle lettre à l’occasion de l’anniversaire de Sabine Zlatin, témoignages qui m’ont énormément ému.

Donc nous célébrons la vie pendant cette année 2023 mais aussi le drame du 6 avril 1944 et la vie du musée Mémorial depuis 1993

Voilà que vient ensuite le Mémorial parce que nous sommes le 6 avril et parce que 44 enfants et 7 éducateurs sont morts parce qu’ils étaient juifs.

Si la Maison d’Izieu est aujourd’hui un symbole et un lieu visité par plus de 30 000 personnes chaque année dont la moitié de scolaires. C’est parce que cette histoire cumule la rafle, le savoir historique, la trajectoire pénale et l’élan mémoriel.

Cet élan mémoriel a commencé dès 1946. Nous l’avons largement montré l’année dernière en rappelant la cérémonie à la mémoire de la Rafle d’Izieu qui a eu lieu sur place avec un ministre, le communiste Laurent Casanova dont l’épouse Danielle avait été assassinée à Auschwitz. Il y avait déjà en 1946 plus de 3000 personnes pour écouter le discours du ministre. Sabine Zlatin avait récupéré quelques jours après la rafle beaucoup de documents. Elle n’ouvrira jamais ces cartons avant les années 80 où notre vice-président Simon Pintel l’a aidée à classer tout ce qui est aujourd’hui au cœur de ce que nous pouvons montrer au public, grâce à la parfaite conservation des documents par la BNF.

En 1983, Klaus Barbie, chef de la gestapo à Lyon pendant la guerre dit le boucher de Lyon, est arrêté. Son procès s’ouvre en mai 87 et grâce à Serge Klarsfeld et Beate qui étaient déjà complices de son arrestation, la trace originale de l’ordre donné par Klaus Barbie pour l’arrestation des enfants d’Izieu l’accablera et sera un des éléments clés de sa condamnation pour crime contre l’humanité. Serge Klarsfeld retrouvera des survivants dans chacune des familles de façon à ce qu’elles se portent partie civile et qu’il ne puisse pas y avoir de négation du crime commis le 6 avril 1944. Nous devons tous remercier Serge Klarsfeld pour cette première condamnation pour crime contre l’humanité en France puisqu’il a finalement retrouvé l’original du télex de Barbie après des années de recherche car il savait que le télégramme avait été cité à Nuremberg.

Donc, un lieu de vie, un lieu de drame, un lieu de justice et maintenant un lieu de mémoire

Je l’ai dit nous recevons plus de 30 000 personnes dont la moitié de scolaires. Nous avons un site internet qui permet de plus en plus souvent de rentrer en relation avec ceux qui ne viennent pas à Izieu. Nous avons, détachés par l’Education Nationale que nous tenons évidemment à remercier, un directeur qui est professeur agrégé ainsi qu’un ETP et demi d’enseignants. L’Etat est notre premier financeur via la DRAC, la Préfecture du Rhône, la DILCRAH, les ministères des Armées et de la Culture. La Région Auvergne Rhône-Alpes avec sa responsabilité autour des lycéens est notre deuxième financeur. Le Conseil Général de l’Ain nous aide dans toute la mesure de ses possibilités et nous avons créé un Fonds de Dotation qui permet à des mécènes de nous accompagner dans nos nombreux projets qui ont tous pour but d’empêcher que le pire ne revienne mais aussi de comparer la situation de ces enfants avec celle des enfants réfugiés d’aujourd’hui.

Notre but c’est évidemment : « plus jamais ça » et pour cela nous n’avons pas choisi la facilité de l’Entre-soi où les collèges des quartiers les plus faciles. Nous sommes en lien très fort avec les Maisons des Jeunes et de la Culture, les centres sociaux, les professeurs des quartiers dits sensibles et nous poursuivons l’œuvre de Sabine Zlatin et de l’institutrice d’Izieu en essayant de former des enfants français capables de bâtir leur vie sur la connaissance de l’histoire du passé mais aussi en essayant de mettre en relation ce qu’ils vivent avec les enfants réfugiés d’aujourd’hui qui sont dans leurs classes et la vie de cette année 43 à Izieu jusqu’au drame du 6 avril 1944.

Bien sûr nous n’ignorons pas les 436 actes antisémites recensés en France en 2022, c’est-à-dire pratiquement un par jour. Même si ce chiffre est « meilleur » qu’en 2021 (et j’ai mis des guillemets), il est important de rappeler que depuis les années 2000, nous sommes sur une tendance extrêmement élevée avec plusieurs centaines d’actes antisémites tous les ans. Il faut aussi préciser que ces chiffres sont basés sur les dépôts de plaintes au commissariat et que probablement un certain nombre d’actes ne sont pas déclarés.

Nous n’ignorons pas non plus et cela fait partie de l’enseignement que l’on dispense ici que 61% des actes antireligieux portant atteinte aux personnes sont dirigés contre des juifs et que 53% des actes antisémites portant atteinte à des personnes. 10% d’actes antisémites sont des agressions physiques et il y a eu un décès suite à une agression en 2022.

Tout ceci ne nous empêche pas de croire très fortement à la formation, au rôle de l’histoire dans l’éducation. Je l’ai dit, nous formons à peu près 15 000 jeunes élèves par an mais nous formons aussi des futurs professeurs, des diplomates, des policiers. Nous apportons notre pierre modeste mais très volontaire à la lutte contre le racisme, contre l’antisémitisme, la haine en ligne, le déni de l’holocauste. Tout ceci grâce et avant tout à une équipe extrêmement motivée que je tiens à saluer aujourd’hui, grâce à un conseil d’administration totalement bénévole et également très dévoué et aussi grâce à un conseil scientifique extrêmement actif, grâce à des professeurs relais dans les écoles, collèges et lycées et grâce aussi à des financeurs qui nous sont fidèles et qui nous permettent de déployer notre feuille de route qui est de nous insérer dans notre environnement local, dans notre belle région Auvergne Rhône-Alpes mais aussi en France, en Europe et dans le Monde et je soulignerai la présence constante d’un volontaire allemand à Izieu et notre lien très fort avec le Yad Vashem.

C’est André Frossard qui a dit que « Traquer un résistant ou un enfant d’Izieu qui n’est encore qu’espérance et promesse, ce n’est pas la même violence ». Barbie a dit à la fin de son procès « c’était la guerre et la guerre est finie », mais ici nous témoignons que le crime contre l’humanité est imprescriptible et que nous n’oublierons jamais la Shoah, la Shoah des enfants et les 44 martyrs d’Izieu qui étaient l’innocence absolue.

Promesse de vie dans un musée Mémorial de la République Française, c’est le témoignage non pas culpabilisant mais positif que nous essayons de transmettre avec la conviction que rappeler cette souffrance, rappeler cette horreur c’est aussi rappeler qu’au-delà de la nuit, des valeurs intangibles demeurent, qu’elles s’expriment ici dans ce Mémorial républicain au cœur de l’enseignement qui transmet les valeurs de notre république.

Parmi ces valeurs, il y a le souvenir qui lui aussi est imprescriptible. C’est pour cela que nous sommes là ce matin. C’est pour cela que nous et nos successeurs seront là demain.

Je vous remercie. »

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