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L’origine des MJC


Conférence sur André Philip depuis la République des Jeunes jusqu’aux MJC

Dans le cadre « des Journées Européennes du Patrimoine » 17 Septembre 2021

Thierry Philip – petit fils d’André Philip

Je vous propose de diviser cette longue conférence en 4 étapes.

Voici la première : « LA REPUBLIQUE DES JEUNES »


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Bonjour à tous,

Je voudrais d’abord vous remercier de m’avoir invité ce soir et commencer en disant qu’il y a, à mon avis, une double logique puisque le thème de cette journée du Patrimoine est la jeunesse, d’avoir choisi André Philip et le temple de la Rue Lanterne.

D’abord le Temple de la Rue Lanterne, parce qu’André Philip était un paroissien de ce temple. Comme l’indiquent les panneaux d’exposition que vous avez vus précédemment, après avoir refusé de voter les pleins pouvoirs à Pétain, André Philip était là, en juillet 1940, lors du célèbre sermon du Pasteur Roland de Pury que l’on peut considérer comme le début de la Résistance protestante à Lyon.

D’autre part, et c’est la deuxième logique, c’est à Lyon au retour de la guerre qu’André Philip décide de créer la République des Jeunes qui deviendra la Fédération des Maisons des Jeunes et de la Culture, ce thème de la République des Jeunes et celui que l’on m’a demandé de traiter ce soir.

Ce thème n’était pas du tout au départ dans les compétences du professeur d’économie André Philip mais ce sont les liens contractés durant la période de la résistance, mais aussi ses responsabilités de commissaire à l’intérieur à Londres et, surtout à Alger, qui impliquent André Philip dans la réflexion sur la réorganisation des mouvements de jeunesse.

Son investissement sur ce thème n’a pas seulement été conjoncturel puisque, à peine revenu en métropole libérée, il préside à la Fondation de la République des Jeunes qui deviendra progressivement la Fédération Nationale des Maisons des Jeunes et de la Culture. En dépit des difficultés que nous allons voir sur l’organisation, d’abord dans les années 46-47 puis, au cours du temps, il en conservera la direction jusqu’en 1968 soit 2 ans avant sa mort.

L’investissement du député du Rhône et les orientations qu’il s’efforce d’impulser sur la politique de la jeunesse, tant à Alger qu’à Lyon, puis Paris, témoignent des espoirs que les hommes de la Résistance ont placés dans le renouvellement des cadres de la vie politique et sociale, renouvellement largement porté par les initiatives nées du foisonnement intellectuel des années de l’ombre.

La République des Jeunes, c’est une utopie résistante qui se heurte très rapidement aux exigences de la réconciliation nationale passant par la réintégration des forces et des institutions maintenues ou créées sous Vichy et au déchirement politique de la Résistance.

Dès le front populaire dont André Philip est un député socialiste, il est demandé aux organisations de jeunesse et de loisirs populaires de relayer la politique de Léo Lagrange. Après l’échec politique du gouvernement Blum, le retour à l’opposition mais surtout la défaite, la guerre et la période de la libération sont autant d’occasions de renouer avec certaines réalisations du Front populaire. Telle est en tout cas la filiation qu’évoque André Philip dans un texte de 1945 sur l’orientation donnée au projet, je cite « Il s’agit de reprendre le plan qui avait été inauguré dès 1936 au Ministère des Loisirs par Léo Lagrange, le gouvernement doit donc encourager tous les mouvements comme les auberges, tourisme et travail, mouvements scouts de toute tendance qui créent pour la jeunesse les fondements physiques mêmes de sa santé ».

Comme beaucoup d’intellectuels et de responsables politiques mais aussi d’enseignants, André Philip face à l’effondrement de juin 1940 reporta son attention vers la jeunesse, entité indispensable au relèvement de la Nation.

Plus décisif sans doute fut son expérience au Chambon-sur-Lignon où il s’est réfugié avec sa femme, Mireille – elle aussi paroissienne de la rue Lanterne et fille de pasteur sera une des premières Justes du Chambon-sur-Lignon en même temps que le pasteur André Trocmé et sa femme. Elle a en effet passé des enfants juifs en Suisse avant une fois recherchée de se transformer en spécialiste des faux papiers. Mireille Philip pourrait faire l’objet d’une conférence à elle seule mais … revenons à André Philip.

C’est pour André Philip au Chambon une période d’immersion dans une petite communauté villageoise, certes rehaussée par la présence de nombreuses figures intellectuelles rassemblées au sein du Collège Desroches, mais c’est là qu’il anime avec d’autres, des conférences éducatives. Je cite une habitante du Chambon, Madame Merla : « Au cours de l’hiver 41-42, André Philip eut essentiellement deux ordres d’activités au Chambon : une au Temple où il dirigea un groupe d’étude biblique sur l’épitre de Saint-Jacques, ce groupe qui ressemblait à s’y méprendre à l’ancienne section du Parti Socialiste pouvait discuter aussi en toute liberté de tous les problèmes politiques et nationaux. Avec le docteur Le forestier, il organisa en plus une société de conférences qui, une fois par semaine, réunissait à peu très tout le village où il traitait les sujets suivants : capitalisme, anti-corpitalisme, URSS, Benjamin Constant, Charles Peguy autant de prétextes pour prendre position contre le gouvernement de Vichy ».

Son départ pour Londres, puis Alger ne lui fait pas perdre de vue ces questions même si les impératifs de la vie politique sont davantage présents et sa désignation comme Commissaire à l’Intérieur lui fait prendre alors directement en charge les questions de jeunesse.

Il participe au débat qui agite la France Libre, d’abord théoriquement sur les modes d’organisation de la jeunesse, puis pratiquement lorsqu’il s’agit à Alger de gérer la transition giraudiste. A Alger, la volonté de rompre avec les ferments du passé tant dans le domaine de l’éducation que de la politique de la jeunesse bute rapidement sur la question laïque, la représentation des mouvements politiques, la question de l’attitude des mouvements durant l’occupation et face aux initiatives aux réalisations de Vichy dans le domaine de la jeunesse.

Comme Commissaire à l’Intérieur, André Philip prend un certain nombre de décisions qui visent à susciter le soutien des organisations de jeunesse. Il s’agit tout à la fois de fédérer les organisations issues de la Résistance, mais aussi de chercher le soutien des organisations légales, objectif de la mission menée par Jean-Louis Fraval en France à partir du printemps 43. Et, c’est dans ce contexte, que se produisent en France des rapprochements entre mouvements des auberges de jeunesse et la jeunesse chrétienne combattante qui aboutissent à la création des Forces Unies de la Jeunesse Patriotique (FUJP) le 15 octobre 1943. Parallèlement, l’ordonnance du 2 octobre 1943 pose les fondements de la politique de la jeunesse des années à venir instaurant notamment un conseil de la jeunesse rassemblant les groupements de la jeunesse à l’exception des mouvements politiques. Cette situation est jugée inacceptable par les mouvements issus de la Résistance qui obtinrent d’y être représentés à partir de juillet 44 et plus largement d’être partie prenante de la future politique de la jeunesse.

La philosophie d’André Philip, c’est de « concevoir l’Etat comme un coordonnateur des mouvements de jeunesse et nullement comme un initiateur ». On dirait aujourd’hui qu’il est pour une politique « Bottom-up » et pas « top-down » !

La réunion constitutive de la République des Jeunes se déroule donc à Lyon le 4 octobre 44 mais son siège se déplace très vite à Paris, parallèlement à l’élargissement du mouvement dans lequel figurent désormais les représentants des mouvements de jeunesse, le Conseil Protestant de France, les Eclaireurs de France, le Mouvement des Auberges de Jeunesse, des organisations syndicales, des mouvements de résistance. Peu après, viendront s’y adjoindre l’Union de la Jeunesse Républicaine Française, l’Organisation de Jeunesse du Parti Communiste Français, les Jeunesses Socialistes, la Ligue de l’Enseignement, les Scouts de France. Ainsi mise en place, l’Organisation sert de cadre à l’action de l’Etat dans sa politique de la jeunesse, comme le précise la Circulaire signée par Jean Guehenno. Ce texte récuse toutefois l’intervention directe de l’Etat dans la création et l’action des Maisons de la République des Jeunes, principalement parce qu’elles risqueraient d’apparaitre comme des instruments d’une politique d’Etat et qu’il convient à cet égard de rompre entièrement, avec certaines tendances qui s’étaient déjà manifestées au sein de l’ex-Commissariat à la Jeunesse de Vichy. « Il importe au contraire, dit le Ministre, de s’appuyer sur des initiatives préexistantes, la République des Jeunes se voyant attribuer en ce domaine un rôle prépondérant ».

Donc, pas d’intervention directe de l’Etat mais le gouvernement s’efforce par la distribution de subvention, notamment de réaliser une forme d’unité grâce au relais d’associations amies. Ainsi, le ralliement des associations catholiques correspond pour une part à des liens réels noués pendant les combats communs de la Résistance, par des militants mais aussi aux soucis moins louables, de faire oublier les relations plus qu’étroites entretenues avec le régime déchu. Il importe de distinguer entre les mouvements les plus ardents que sont les jeunesses catholiques combattantes, qui sont loin d’être représentatives de l’ensemble du mouvement de la jeunesse catholique et qui connaissent au contraire un rapide déclin. Seule l’euphorie des premiers mois de la Résistance, l’attitude conciliante des grands mouvements de jeunesse permettent de comprendre ce regroupement au sein de la République des Jeunes de mouvements si différents ayant ou non été proches de Vichy.

André Philip insiste sur le fait que « la République des Jeunes vise à réaliser dans notre pays une coopération de tous les mouvements et organisations de jeunesse, dans le respect de leur libre diversité ; avant la guerre nous avons connu la dissémination des efforts aboutissant trop souvent à des doubles emplois, à des rivalités malsaines. Sous Vichy, on a essayé d’embrigader la jeunesse et en la groupant dans une organisation unique de la soumettre à la tutelle de l’Etat ». « Aujourd’hui, dit André Philip, les associations doivent retrouver leur pleine liberté de gestion mais nous sommes menacés d’un danger inverse, on risque de croire que les associations pousseront toutes seules sans une forte avant-garde de militants spécialisés. L’Etat qui accepte volontiers de n’être qu’un conseiller soutient et arbitre, à tendance à interpréter sa fonction dans le sens du nécessaire alors qu’il lui faudrait faire preuve de décisions sous la base d’un plan rigoureux ». André Philip fait le rapprochement entre ces maisons qui se créent autour de la République des Jeunes et l’esprit des Bourses de travail, modèle d’un syndicalisme à la fois révolutionnaire mais ouvert sur l’extérieur. Les futurs Maisons des Jeunes et de la Culture doivent d’après lui « rassembler toutes les forces de l’activité éducative physique et sportive mais aussi intellectuelles et professionnelles pour forger un homme complet ».

Je cite à nouveau André Philip : « Il faut surtout que l’on cesse d’identifier la notion de culture avec le bagage encyclopédique que prétend consacrer le baccalauréat. Il faut former de bons ouvriers, de bons paysans, au courant de la technique industrielle moderne, mettre sur pied une classe ouvrière capable de faire face à l’effort d’une industrialisation systématique qui s’impose aujourd’hui à la France et il faut faire cela en donnant à ces ouvriers non seulement les connaissances techniques nécessaires mais une formation d’homme complet, physique, intellectuelle et morale qui leur permette de devenir un citoyen d’une république libre ».

Cet objectif, audacieux, qui englobe à la fois la dimension culturelle et politique, s’est évidemment heurté rapidement à la renaissance des conflits idéologiques. Une fois passée la brève parenthèse des derniers mois de la guerre le cœur de ces conflits idéologiques, c’était évidemment la question de la laïcité.

Je cite un passage du rapport du 2ème Congrès des Jeunesses Socialistes en 1946 « Considérant que nous assistons à l’heure actuelle à une recrudescence de l’attaque combinée des trusts et de l’Eglise contre l’école laïque, le Congrès constatant que les Associations Catholiques de France ont approuvé et soutenu la politique de Vichy, qu’elles ont reçu d’importantes subventions du Maréchal, qu’il s’agit d’organisations réactionnaires et hostiles à toute évolution sociale, décide qu’aucune relation ne peut exister entre ces mouvements et la jeunesse socialiste ». C’est dans cet esprit laïque que se crée la Fédération Française des Maisons des Jeunes et de la Culture qu’André Philip va présider jusqu’en 1968.

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