Le mensonge chez une personne atteinte du trouble borderline (ou état limite) est une réalité. Mais que se joue-t-il, justement ? Pourquoi ces mensonges ? Quels mécanismes psychologiques les sous-tendent ? Comment les différencier de la mythomanie ? Que faire quand on y est confronté ? Réponses dans notre article.
Comprendre le mensonge chez la personne borderline
Plongeons directement au cœur du sujet sans détour inutile : je ne suis pas médecin – mes observations n'ont jamais vocation à remplacer l'avis d'un professionnel de santé mentale. Cette précision est capitale, car le trouble de la personnalité borderline (TPL) touche à des territoires où la souffrance psychique bouscule toutes les certitudes, y compris celles des praticiens les plus aguerris.
« Le mensonge n'est pas toujours une arme, mais souvent une armure fragile. »
Affirmons-le sans tergiverser : le mensonge chez une personne borderline est rarement un acte malveillant ou une stratégie froide de manipulation. Rien n'est plus erroné que d'y voir uniquement une volonté de duperie. Dans mon expérience – y compris lors de certains accompagnements en cabinet où j'ai vu des personnes s'effondrer après avoir avoué un "petit" mensonge – ce symptôme révèle plutôt un combat intérieur exténuant. Le mensonge devient alors un réflexe, parfois inconscient, pour survivre à l'instabilité émotionnelle permanente ou à l'éventualité d'un rejet.
Mes deux convictions fondamentales sont simples mais incontournables :
- Le mensonge n'est souvent qu'une manifestation de la souffrance et des mécanismes de survie psychique. La recherche le confirme (voir études récentes par exemple dans Current Psychiatry Reports, 2021), même si elle dérange certains cliniciens trop pressés d'étiqueter le patient.
- Seule la compréhension authentique de ces mécanismes permet d'espérer des relations plus saines et un chemin vers l'apaisement, aussi bien pour la personne concernée que pour son entourage.
Sur les forums spécialisés et dans quelques publications sérieuses francophones, il est clairement admis qu'accuser systématiquement la personne borderline de "mensonges pathologiques" relève presque toujours d'une confusion entre symptômes et intentions (voir source Reddit). Ce regard critique doit primer sur toute interprétation hâtive.

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Loin donc des raccourcis médiatiques ou populaires, le mensonge chez le borderline interroge avant tout sur notre capacité collective à accueillir la vulnérabilité, sans jugement ni simplification outrancière… quitte à bousculer nos propres schémas cognitifs !
Le mensonge chez la personne borderline : une réalité complexe et douloureuse
Le borderline ment-il consciemment ? Distinguer le mensonge du trouble de la personnalité.
Difficile de trancher sans nuance : le mensonge observé dans le trouble borderline n’a que peu de points communs avec celui du menteur dit "malveillant" ou mythomane. Chez une personne borderline, le mensonge n’est pas, dans la grande majorité des cas, une stratégie froide pour manipuler ou tromper. Ce comportement s’apparente plutôt à une distorsion de la réalité vécue, où l’intensité des émotions prend le contrôle du récit intérieur, parfois au point d’altérer involontairement les faits relatés (voir Qare.fr, aapel.org).
Contrairement à la mythomanie — caractérisée par une invention compulsive de récits fabuleux souvent déconnectés des enjeux affectifs immédiats — le mensonge borderline jaillit presque toujours d’une urgence émotionnelle. La conscience de "mentir" varie : certains en prennent conscience après coup, d’autres s’en veulent immédiatement mais sans savoir pourquoi ils l’ont fait. Cette zone grise alimente la confusion et la stigmatisation... Un point que j’approfondirai dans un volet ultérieur consacré à la pseudologia fantastica.
L'instabilité émotionnelle : le cœur du réacteur du comportement borderline.
L’instabilité émotionnelle est LE trait fondamental du trouble borderline. Elle se manifeste par des fluctuations intenses et rapides de l’humeur, souvent imprévisibles même pour les personnes concernées. Sur le terrain, j’ai vu (et entendu !) bien des histoires surprenantes — comme ce jour où une cliente m’a affirmé avoir été hospitalisée d’urgence pour un accident grave… avant d’avouer, en pleurs, qu’elle avait exagéré parce qu’elle craignait que je me désintéresse d’elle si ses problèmes étaient "banals".
Les études cliniques démontrent que ces montagnes russes émotives peuvent littéralement altérer la perception de la réalité : ce qui était vrai il y a dix minutes paraît soudain insignifiant ou faux… et inversement. Plus l’intensité émotionnelle grimpe, plus il devient difficile de garder un fil narratif cohérent. On parle alors d'une véritable dysrégulation émotionnelle (MSD Manuals ; psychologue.net).

Le rôle de la peur de l'abandon : pourquoi le mensonge devient une bouée de sauvetage ?
Si je devais pointer LA racine sous-estimée du mensonge borderline, ce serait sans hésiter la peur panique de l’abandon (MSD Manuals ; Aforpel). Cette angoisse archaïque pousse parfois à tordre les faits pour maintenir coûte que coûte un lien ou attirer l’attention bienveillante.
Dans ces moments-là, le mensonge n’est plus un simple outil social, c’est un mécanisme de défense vital – qui vise à éviter le rejet réel ou fantasmé, conserver l’illusion d’un lien indestructible et obtenir quelques gouttes d’approbation rassurante.
- Maintien de l’illusion relationnelle (éviter que l’autre parte)
- Évitement du rejet frontal (ne pas confronter au risque réel d’abandon)
- Recherche active d’approbation ou valorisation positive
- Besoin irrépressible de se sentir important… fût-ce au prix d’une vérité biaisée !
Ces motifs – rarement reconnus hors du cercle soignant – expliquent pourquoi accuser systématiquement la personne borderline "d’être manipulatrice" est non seulement inexact mais carrément contre-productif pour toute relation saine.
Décryptage des mécanismes psychologiques derrière le mensonge borderline
Quand la réalité se distord : schémas cognitifs et distorsions de la pensée
Les schémas cognitifs, pour faire simple (mais pas simpliste !), sont ces systèmes internes de croyances, souvent inconscients, qui servent de filtres à notre perception du monde. Chez les personnes borderline, ces schémas sont fréquemment rigides, négatifs et ancrés dans des expériences précoces douloureuses — par exemple, la conviction d'être fondamentalement indigne d'amour ou condamné à l'abandon. Les recherches d'Arntz et al. (notamment sur les schémas précoces inadaptés) montrent que ces filtres ne laissent passer que ce qui valide le scénario catastrophe déjà inscrit dans le psychisme.
- Pensée dichotomique : tendance à tout voir en noir ou blanc, sans nuances intermédiaires ;
- Catastrophisme : anticipation récurrente du pire même face à des situations neutres ;
- Filtrage négatif : ne retenir que les informations qui confirment le danger ou le rejet.
« Les schémas précoces inadaptés agissent comme des lentilles déformantes : la personne borderline ne perçoit pas la réalité telle qu'elle est mais telle qu'elle craint inconsciemment qu'elle soit. » (Arntz A., Jones B., Startup M., Swales M.)
Dans mon cabinet à Lausanne, j'ai parfois été témoin de récits profondément éloignés des faits... et pourtant vécus avec une sincérité déroutante. Ce n'est pas de la mauvaise foi, mais un véritable court-circuit entre émotion et cognition.
La dissociation : échapper à une réalité insupportable par le mensonge
La dissociation prend ici tout son sens. C’est un phénomène où l’esprit se met en pause — comme si l’on sortait temporairement de soi-même pour fuir une douleur émotionnelle insupportable. Pour les personnes borderline, cette dissociation peut entraîner des épisodes où souvenirs, perceptions et récits deviennent flous, voire inventés, non par stratégie mais parce que la conscience s’est fragmentée sous la pression. Williams LM a démontré que près de 75% des personnes avec un trouble borderline expérimentent ce type de déconnexion.
Un cercle vicieux se crée alors : on ment sans même s’en rendre compte… ou on croit sincèrement à un souvenir reconstruit après coup.
Les mécanismes de défense : quand le mensonge protège l'ego fragile
Derrière chaque mensonge chez le borderline, se cache souvent un arsenal classique de mécanismes de défense – ces stratégies internes visant à préserver l’ego face à une honte ou une détresse jugées insurmontables (Paris J). Idéalisation d’autrui suivie d’une dévalorisation brutale ; projection sur l’autre des propres peurs ; évitement mental d’une vérité difficile… C’est un terrain miné qui peut conduire au mensonge quasiment réflexe.
Prenons un exemple concret vécu en consultation : une jeune femme affirme avoir reçu une promotion exceptionnelle au travail. La réalité ? Elle vient d’être mise à pied… Mais admettre cet échec serait trop douloureux face à son sentiment chronique d’infériorité. Le mensonge fait écran pour retarder l’effondrement identitaire.
Mécanismes courants menant au mensonge chez les borderline :
- Idéalisation/dévalorisation (tout est parfait ou exécrable)
- Projection (attribuer à l’autre ses propres défauts)
- Évitement (refus inconscient de reconnaître certains faits)
- Scission (« splitting ») du vécu émotionnel en opposés irréconciliables (source : PMC3203733)
On est loin du cliché du mythomane manipulateur : ici, le mensonge sert surtout à survivre psychiquement dans l’instant… quitte à alimenter après coup une immense culpabilité.
Borderline vs. Mythomanie : quelles sont les différences fondamentales ?
Le plaisir du récit : la pseudologia fantastica, miroir déformant de la réalité
La pseudologia fantastica – ou mythomanie – désigne un trouble fascinant et controversé où le mensonge devient compulsif, envahissant et… étonnamment créatif (source : NCBI). Il ne s’agit pas uniquement d’arranger la vérité, mais bien d’élaborer des récits complexes, parfois si élaborés que la personne finit par croire à ses propres inventions. L’élément-clé ici : la frontière floue entre invention consciente et croyance sincère.
Richard J. Laban et Cyril Jeckel ont relevé que cette fabulation ne découle pas nécessairement d’une peur de l’abandon ou d’une souffrance aiguë, comme c’est le cas dans le trouble borderline. Elle trouve plus souvent sa source dans le besoin d’être admiré, de vivre une vie grandiose ou de réparer une identité fêlée. Cela distingue radicalement la pseudologia fantastica du mensonge borderline, lequel s’inscrit avant tout dans l’urgence émotionnelle et la détresse subjective.
La conscience du mensonge : une différence clé entre le borderline et le menteur pathologique
Les différences ne s’arrêtent pas là. Pour creuser ce fossé, il suffit d’interroger la question du contrôle : qui sait qu’il ment, qui maîtrise son récit ? Chez les personnes borderline, on observe souvent une conscience floue ou fluctuante du mensonge. Sous l’effet d’émotions intenses, elles peuvent littéralement perdre leurs repères – se débattre dans une zone grise où réalité et fiction fusionnent (voir Qare.fr).
Le mythomane – lui – semble davantage maître à bord : il orchestre ses histoires pour obtenir sécurité, admiration ou manipulation sociale (Snyder S., Epstein MA). La recherche montre que certains changent leur récit en fonction de leur auditoire et y ajoutent des détails dramatiques pour renforcer leur crédibilité (MentorShow).
Critère | Mensonge Borderline | Mythomanie / Pseudologia fantastica |
---|---|---|
Conscience du mensonge | Floue, diffuse sous le choc émotionnel | Plus nette, contrôle souvent présent |
Motivation principale | Survie émotionnelle ; peur du rejet/abandon | Besoin d’admiration/grandeur/identité |
Impact émotionnel | Culpabilité massive après coup ; angoisse | Souvent peu de remords ; soulagement |
Tentative de contrôle | Faible ; récit parfois incohérent | Forte ; histoire sophistiquée/cohérente |
L'impact sur les relations : comment le mensonge affecte la confiance et la stabilité
La réalité est brutale : les mensonges liés au TPL sapent lentement mais sûrement tout socle de confiance. Dans mon cabinet à Lausanne, j’ai vu des familles entières tomber dans le piège de l’hypervigilance — cette surveillance anxieuse qui surgit chaque fois qu’un doute s’installe sur la véracité des paroles. Cette spirale mène régulièrement à des ruptures douloureuses : perte de confiance mutuelle, accumulation de soupçons absurdes…
Bottoms BL rapporte que ces dynamiques relationnelles perturbées favorisent un climat délétère où chaque protagoniste scrute l’autre à la recherche du « faux pas » fatal.

Ce cercle vicieux nourrit parfois chez les proches une véritable obsession fébrile du contrôle (« Je dois vérifier chaque mot »), aggravant encore la sensation d’isolement déjà ressentie par la personne borderline. Le pire ? Plus on tente de prouver sa bonne foi… plus on est suspecté ! Voilà pourquoi se contenter d’accuser sans comprendre crée nettement plus de dégâts que de solutions.
Gérer et comprendre le comportement mensonger lié au trouble borderline
L'importance de la thérapie comportementale dialectique (TCD) pour réguler les émotions
La Thérapie Comportementale Dialectique (TCD), conçue par Marsha M. Linehan à l’Université de Washington, s’est imposée depuis les années 1990 comme une méthode redoutablement pertinente pour aider les personnes borderline. Il ne s’agit pas d’un effet de mode – c’est l’une des rares approches validées expérimentalement pour réduire non seulement les comportements impulsifs et auto-dommageables, mais aussi l’usage du mensonge comme mécanisme défensif (ScienceDirect, RFSM, Wikipedia).
Les quatre piliers de la TCD sont :
- Pleine conscience (apprendre à observer et nommer ses ressentis instantanés)
- Régulation émotionnelle (savoir moduler ses réactions face à des émotions trop intenses)
- Efficacité interpersonnelle (améliorer la communication et la gestion des conflits)
- Tolérance à la détresse (développer des stratégies pour endurer la souffrance sans basculer dans l’évitement ou le mensonge)
Le cœur du programme : enseigner à exprimer ses émotions sans en avoir honte ni peur du rejet – c’est tout sauf anodin dans le trouble borderline où tout dialogue est souvent parasité par la crainte d’être abandonné.
Checklist : Points clés de la TCD pour réduire le mensonge
- Apprentissage progressif de l’expression émotionnelle honnête
- Acceptation de la réalité même lorsqu’elle est inconfortable
- Communication assertive et respectueuse des limites de chacun

Conseils pour les proches : comment réagir sans jugement face au mensonge ?
Pas facile, soyons honnêtes : entendre un proche travestir la réalité use les nerfs et bouscule nos propres repères. Pourtant, réagir en accusant ou en scrutant chaque mot ne fait qu’aggraver l’angoisse relationnelle. Les études et témoignages récents convergent sur plusieurs points essentiels (voir travaux d’Helen et Cyril Jeckel) :
- Pratiquer une communication ouverte, sans menacer ni infantiliser.
- Valider les émotions (“Je vois que tu as eu très peur”) sans valider le contenu erroné (“Je comprends que tu aies dit ça même si ce n’est pas factuel”).
- Fixer des limites claires et fermes, non négociables quant à l’honnêteté dans certains contextes sensibles.
- Prendre soin de soi : il est impossible d’aider durablement si l’on s’oublie dans le processus.
Une anecdote vécue récemment : un père me confiait sa lassitude face aux récits incohérents de sa fille borderline… jusqu’à ce qu’en séance familiale, il ose exprimer calmement son doute ET son amour inconditionnel. Résultat ? Un premier vrai dialogue après des mois de silence radio. Preuve que rigueur et bienveillance peuvent coexister… si tant est qu’on accepte d’abandonner la logique purement rationnelle !

Le chemin vers le rétablissement : vers une communication plus authentique
S’il fallait briser un cliché tenace : NON, vivre avec un trouble borderline ne condamne pas à une vie entière de crises ni à des relations toxiques indéfiniement. Les recherches longitudinales menées par Torgersen S. ou Alnaes R. montrent que plus de 80% des personnes suivies atteignent une forme de rémission symptomatique après plusieurs années – souvent au prix d’un travail acharné sur soi-même.
Le retour à une communication authentique passe invariablement par :
- Une acceptation progressive des failles personnelles,
- Un remaniement patient des schémas cognitifs défaillants,
- Et surtout… l’apprentissage du “dire vrai” même quand ça fait mal ou que ça expose à la vulnérabilité.
Ce chemin est unique pour chaque personne – il faut résister à la tentation du “tout, tout de suite”. J’ai accompagné des patients qui, après dix ans d’errance relationnelle, ont fini par trouver leur façon propre d’être sincère… parfois maladroitement mais toujours avec courage.
"La bienveillance et la patience sont nos seuls véritables guides. Sans elles, impossible d’apprivoiser ces zones grises où se débattent honte, peur et désir immense d’être aimé." (avis personnel)

Au-delà du mensonge : une invitation à la compréhension et à l'aide
Il serait intellectuellement malhonnête de réduire le mensonge borderline à un simple choix moral ou à un caprice. Les publications du NIMH (National Institute of Mental Health) et les travaux de McGill University rappellent l'ampleur de la souffrance vécue – et confirment que la compréhension véritable, loin du jugement facile, demeure notre meilleure alliée.
À retenir :
- Le mensonge chez la personne borderline est d'abord une manifestation complexe de souffrance profonde, non une faiblesse d'éthique.
- La compréhension – armée de patience et d'informations fiables – ouvre la voie à des relations plus dignes et moins toxiques.
- La TCD (thérapie comportementale dialectique) reste un appui majeur pour réguler l'émotionnel et rétablir l'authenticité du lien.
- Le soutien des proches n'est pas un luxe mais une nécessité vitale… tout comme l'accès à des programmes spécialisés pour familles (Connexions Familiales, AFTPB).
- Enfin, consulter un professionnel reste indispensable pour chacun – concerné ou aidant – car seul un accompagnement qualifié peut ouvrir les vraies voies du rétablissement durable.

En tant que naturopathe engagé dans le respect du parcours singulier de chacun, je redis : ma parole ne remplace jamais celle d’un médecin ou d’un psychothérapeute. Mais si ces quelques lignes peuvent encourager au dialogue, alors il n’y a pas eu mensonge sur l’essentiel : on ne guérit jamais seul… ni sans y croire vraiment.